Ainsi, sous prétexte que c’est trop compliqué et que c’est de la paperasserie, le gouvernement vient de décider de raccourcir la feuille de paie à sa plus simple expression : quelques lignes… une vingtaine, nous dit-on, feraient l’affaire.
L’affaire de qui ?
Des patrons évidemment ! Ceux-ci pourraient réduire le peu de salariés qui travaillent à l’établissement des salaires mais surtout de ne plus avoir à rendre compte aux travailleurs de ce qui est versé et à qui et dans quelles conditions.
La feuille de paie est une réalisation qui vient de loin, elle est un document légal mentionnant tous les éléments du salaire. Nous n’en sommes plus à l’époque où le salarié vendait sa force de travail et recevait son dû de la main à la main comme on disait.
Devant la rapacité des patrons, à l’ère débutante du capitalisme, à leurs ruses pour payer le moins cher possible le prix de la force de travail, leurs engagements non tenus, les salariés ont exigé qu’il leur soit remis un bulletin de salaire en bonne et dû forme.
Avant le salarié son travail était scandé à partir de la clarté du jour jusqu’à son crépuscule. Mais il a vite appris à mesurer son temps d’exploitation de même le capitaliste pour le travail gratuit que le salarié pourrait lui fournir.
C’est la loi du 4 Mars 1931 qui impose la délivrance d’une pièce justificative prouvant que le salarié cotise dans l’industrie, le commerce et les professions libérales.
C’était donc facile pour un tôlier de griffonner sur une feuille les quelques lignes où étaient mentionné la somme d’argent qu’il versait le plus souvent de la main à la main ou pour les plus évolués par une enveloppe ; et aujourd’hui nos chers exploiteurs rêvent d’en revenir à ce point de départ : quelques lignes où apparaitrait que le « net » distribué et où les cotisations sociales auraient disparues comme le réclame Gattaz.
Nous étions alors à l’époque de la lampe à huile, mais aujourd’hui, à l’ère des puissants ordinateurs, les patrons nous disent qu’ils sont incapables de saisir les éléments du salaire devant leur complexité alors qu’ils passent un temps fou sur les ordinateurs pour découvrir les meilleures solutions pour soustraire aux travailleurs des acquis sociaux .
Il n’est pas compliqué de faire une feuille de paie et d’en inscrire le contenu avec les outils informatiques aujourd’hui à notre disposition.
Alors pourquoi en ont-ils à la feuille de paie et à son contenu ?
Le contenu, c’est justement la question qui préoccupent les patrons : que les salariés en saisissent le contenu et les raisons des colonnes où sont indiqués leurs droits et leurs devoirs dans l’exécution de la feuille de paie sont de trop pour eux.
Une feuille de paie, dont je me plaisais à dire quand j’étais responsable de la politique revendicative à la FTM CGT, qu’elle était l’état des acquis sociaux et la photo exacte des résultats des luttes menés des générations de travailleurs, notamment à travers les conventions collectives ou pour de nouveaux droits sociaux comme ceux de la Sécurité sociale.
Une feuille de paie cela se lit et se comprend, et si on a des difficultés pour la lire et bien c’est une excellente occasion pour aller voir son syndicat ou son délégué du personnel qui doit être en mesure de l’expliquer.
Et c’est là que le bât blesse pour le tôlier, qui, évidemment, ne souhaite pas que le syndicat s’en mêle. Il vaut mieux que le salarié en sache le moins possible pour qu’il ne revendique pas des améliorations ou pour qu’il ne s’aperçoit pas du truandage, comme on disait dans le temps, quand les patrons omettaient quelques heures, des jours de rattrapage, des congés payés etc.
Et puis quel beau cadeau au patron si demain la feuille de paie ne comprend plus le nom de la convention collective, la place du salarié dans la grille de salaires mentionnant sa qualification, ses cotisations pour sa santé, sa retraite du régime général et des complémentaires, et toutes les cotisations de l’entreprise que le patron doit verser et qu'il voudrait bien voir disparaitre de la feuille de paie.
Il a d’ailleurs déjà commencé à saper dans les colonnes où est indiqué la côte part de l’entreprise notamment : par exemple l’exonération de cotisations sociales jusqu’à 1,6 SMIC.
Et puis quel beau cadeau serait de ne plus faire figurer demain les minimas en matière de salaire comme il en est fait obligation par la convention collective qui pourrait elle aussi ne plus être mentionnée. Quand je dis « beau cadeau » oui, surement, puisque le « Gattaz et certains défroqués du PS proposent ni plus ni moins de supprimer le SMIC. Alors s’ils peuvent tordre le cou à l’indication du salaire de base ou minimum sur la feuille de paie, ce serait aussi un premier pas vers l’ignorance des modalités de calcul du salaire et notamment du paiement de la force de travail à partir des compétences professionnelles requises.
Et alors nous aurions par la dissimulation des différentes lignes de la fiche de paie, un bulletin qui mentionnerait que le brut et le net. Et les patrons, qui ont toujours des idées derrière la tête pour ne pas payer les salariés à leur valeur diront que : « c’’est pour leur bien et pour leur rendre plus facile la lecture de la fiche de paie » comme on l’entend en ce moment.
Et la mystification s’effectuerait selon l’idée que c’est le « net » qui compte et que le brut est une notion anodine.
Et par un tour de prestidigitation de ce gouvernement de minables, inféodé au Medef, la feuille de paie verrait alors ses lignes sociales disparaitre dans un tour de passe-passe ou d’une magie à quatre sous.
La feuille de paie réelle est un élément important pour que le salarié se situe et puisse mesurer le contenu de ses droits et notamment du salaire socialisé pour lequel il cotise ainsi que son entreprise par les cotisations sociales pour lui, pour ses proches et par solidarité.
Oui, en touchant à la feuille de paie, en la désossant, en englobant les principaux points, le patronat est dans sa bataille d’idées pour réduire ce qu’il appelle le coût du travail.
Quelques lignes restantes augurent que se trame la volonté d’en finir avec une feuille de paie complète représentant le prix de la force de travail en salaire directe ou en salaire socialisé .
Si les travailleurs ont quelques difficultés à lire le bulletin de paie, ce n’est pas en regroupant les données que ceux-ci en comprendront mieux le contenu. La meilleure façon d’en saisir le contenu c’est d’en discuter avec les travailleurs et l’organisation syndicale est faite pour cela.
Il s’agit donc de la conforter, pas d’en faire quelques lignes envoyées par internet demain au domicile du salarié.
Quand à la feuille de paie patronale, elle, elle n’a pas besoin de rubriques, elle s’établie dans le secret des holdings et ne comprend que le bulletin annuel adressé à l’actionnaire avec une seule rubrique le dividende.
Une belle feuille de paie avec plein de lignes, c’est tout bon pour le salarié.
Bernard LAMIRAND