Ce jour a été commémoré le 70eme anniversaire de la création du CNR (Conseil National de la résistance).
La présence des communistes fut cruciale dans sa mise en place et dans son rôle avec notamment le programme du CNR dont certains médias bien connus pour leur exemplarité dans la désinformation ont omis d'en parler.
Il est un grand résistant communiste Pierre Villon qui y joua un très grand rôle: je vous livre l’interview réalisé par l'historien Willart.
Bernard LAMIRAND
texte ci joint
Naissance du CNR
C. W. : La naissance du CNR est précédée par plusieurs rencontres et la constitution d’un Comité de coordination pour la zone nord. Et, comme toile de fond, la bataille de Stalingrad.
P. Villon : Je rencontre d’abord Pierre Brossolette, au début de février 1943, par l’intermédiaire de Pierre Meunier, proche collaborateur de Jean Moulin, Brossolette m’expose ses conceptions - à Londres, face à de vieux bonzes socialistes attachés aux habitudes du passé, de nombreux jeunes, comme lui, veulent transformer profondément la vie politique française. Lui-même aspire à la création, d’un vaste parti travailliste unissant les débris de la SFIO, du radicalisme et les démocrates chrétiens...
...D’une première réunion assez informelle, près de la porte Maillot, je sors quelque peu ahuri - les dirigeants des autres mouvements de Résistance, et tout particulièrement Blocq-Mascard (de l’OCM), ne sont guère préoccupés que de l’après-Libération, cherchant à obtenir le maximum de ministres et de préfets. Un vrai panier de crabes !
Dans une autre réunion des mouvements de zone nord, Brossolette, qui préside, pose ainsi le problème : les Français de Londres, notamment le général de Gaulle, désirent savoir comment la Résistance intérieure envisage la légitimation ultérieure de De Gaulle : faut-il réunir les parlementaires (députés et sénateurs) qui n’ont pas voté les pleins pouvoirs à Pétain en juillet 1940 ou convient-il de réunir les conseils généraux ? Je prends alors la parole : si, au mépris de toute règle de sécurité, je me mêlais à une queue de femmes en quête d’un ravitaillement hypothétique, si je leur annonçais que la Résistance a décidé de s’unir, elles y verraient avec une joie intense un moyen d’accélérer la Libération. Mais si j’ajoutais : faut-il que le général de Gaulle soit légitimé par l’ex-Parlement ou par les conseils généraux, elles me tourneraient le dos, en me rétorquant avec beaucoup de bon sens, « Nous nous moquons éperdument de telles histoires ! »
Je réclame pour le FN plus de soutien, plus de moyens, (argent, armes). De Vogüé suit mon exemple. Brossolette répond avec rudesse à de Vogüé, mais il me ménage, se montre même aimable, brodant sur le thème : il faut que vous vous représentiez ce que sont réellement les milieux de l’émigration londonienne. C’est parce qu’on me l’a demandé là-bas que je vous ai posé la question.
C. W. : C’est alors que tu signes, après l’avoir modifié, un texte préparé à Londres, affirmant une « entière confiance dans le général de Gaulle et le Comité national pour réaliser l’union de tous les Français de la métropole et de l’Empire, pour libérer la France et redonner la parole au peuple français ».
P. Villon : Nous y faisons intégrer deux adjonctions d’importance : l’indication que la lutte est déjà engagée par certains et la précision que le mot dictature s’applique aussi à Vichy. Au cours de la même séance, nous tombons d’accord
1° Sur la nécessité que soit représentées au CNR toutes les « nuances de l’esprit français résistant », notamment les forces politiques.
2° Sur la création d’un Comité de coordination des mouvements de Résistance de zone nord.
Enfin, Brossolette nous annonce l’arrivée d’un mystérieux Rex (Moulin), chargé de mettre sur pied le CNR.
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C. W. : La première, réunion, constitutive, du CNR se tient, le 27 mai 1943, rue du Four, dans le sixième arrondissement. (p.73)
P. Villon : Oui. On nous soumet un texte préparé à l’avance par Moulin et Bidault - la « motion Bidault », affirmant que la Résistance entière se place derrière le général de Gaulle, afin d’asseoir son autorité face aux Alliés. Pour notre part, n’ayant pas le culte de la personnalité du général, nous aurions préféré un appel à la réconciliation des généraux de Gaulle et Giraud. Mais nous aurions été isolés. Aussi Mercier (pour le PCF) et moi (pour le FN), persuadés que l’essentiel est le développement de la lutte et que la constitution du CNR peut y contribuer, avons-nous voté la motion Bidault, adoptée à l’unanimité.
Mercier et moi présentons un autre texte par lequel le CNR s’adresserait à tous les patriotes, les exhortant à l’action contre les occupants. Jean Moulin prend notre document, déclare qu’on le discutera une autre fois, car la sécurité exige que nous nous séparions le plus vite possible. Par la suite, j’ai demandé à Meunier ce que devenait notre texte. Il me dit qu’il soulevait bien des difficultés : la lutte armée et la grève, conçues comme moyens privilégiés du combat, heurtaient tous ceux qui étaient soucieux de sauvegarder certaines prérogatives et qui craignaient une trop grande élévation de la conscience ouvrière. La lutte de classe traversait bien la Résistance !
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Création du Comité directeur du CNR
C. W. : En juin 1943, Jean Moulin, qui cumule les fonctions de délégué général de Londres et de président du CNR dont il a été le fondateur, est arrêté. Serreulles (qui a été pendant deux ans et demi chef de cabinet de De Gaulle et vient d’être parachuté en France) assure l’intérim de la délégation générale. Comment est désigné le nouveau président du CNR ?
P. Villon : Je rencontre Serreulles, « monté » à Paris au début de juillet, qui me fait de grandes déclarations contre l’attentisme. Notre choix, comme président du CNR, se porte sur Bidault (il est aussi le candidat de Serreulles, alors que le BCRA soutient Brossolette). Bidault est membre du FN en zone sud, en même temps que de Combat et Farge m’a assuré - et pour nous c’est capital - qu’il est un partisan de la lutte armée, un adversaire résolu de l’attentisme ... Bidault sera président du CNR en septembre 1943.
C. W. : Hostache [auteur d'un Que-sais-je, Le Conseil national de la Résistance, 1958] t’attribue le projet de réorganisation du CNR.
P. Villon : Oui, après avoir consulté J. Duclos et le Comité directeur du FN. Ce Comité directeur, qui allait s’élargissant, se réunissait à peu près une fois par mois. Je lui soumettais les problèmes qui se posaient au CNR.
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Donc, pour donner au CNR un rôle efficace tout en évitant la réunion plénière à quinze et ses risques, je propose la constitution d’un bureau permanent de cinq membres, chacun des cinq ayant un contact régulier avec deux autres. J’obtiens l’approbation de mon projet par plusieurs membres du CNR. Ce bureau du CNR comprend : Bidault (président), Saillant, Pascal Copeau, Blocq-Mascard et moi-même, Je représente à la fois le FN, le PCF et assez curieusement un parti de droite, la Fédération républicaine ...
Le programme du CNR
C. W. : C’est le moment où tu déposes un projet de programme du CNR. (p.77)
P. Villon : Au cours de l’été 1943, Emile Laffon (pseudonyme Lachaud), envoyé en mission par le commissaire de l’intérieur du gouvernement d’Alger, André Philip, propose au CNR une charte, une sorte de manifeste pour l’après-guerre. Au même moment, offensive des MUR, (Mouvements unis de Résistance), menée par Bourdet, Baumel, Altman : que le FN se fonde dans les MUR. Fusion qui permettrait d’estomper le FN - une de ces nombreuses manoeuvres de certains barons de la Résistance zone sud ; ils viennent avec une charte d’unification, chantant de douces mélodies pour l’après-Libération, en fait des promesses démagogiques et peu consistantes.
Nous ne pouvions nous cantonner dans une attitude négative. J’opte pour la rédaction d’un contre-projet qui, d’une part, reconnaisse l’autorité du CNR, d’autre part, ajoute, aux beaux engagements pour l’avenir, la définition d’objectifs immédiats, notamment une condamnation formelle de l’attentisme.
Mais avant de déposer le projet, j’ai une entrevue - la seule que j’ai eue pendant toute cette période - avec Jacques Duclos et Benoît Frachon. Nous échangions, Jacques Duclos et moi, une correspondance régulière, une à deux fois par semaine.. Il me demanda même à un moment d’assumer une école du parti par courrier et j’ai eu à corriger des devoirs d’élèves. Une camionnette soigneusement bâchée, pour qu’on ne discerne pas le trajet, nous prend place Denfert-Rochereau, André Mercier et moi, nous emmène dans une ferme de la grande banlieue parisienne. Nous embrassons Jacques et Benoît et entamons une longue discussion. D’une part, sur la volonté de De Gaulle de désigner lui-même les ministres communistes qui lui conviennent.
D’autre part, sur les nationalisations à insérer dans le programme du CNR. Les nationalisations constituaient la tarte à la crème des socialistes et, sous ce terme, il était loisible de tout mettre, y compris les « nationalisations du déficit » (comme celle de la SNCF en 1937).Nous donnons notre plein accord à la nationalisation « des grands moyens de production », des compagnies d’assurances et des grandes banques. C’est Jacques lui-même qui rédige la formulation qui sera plus tard adoptée.
Je possède l’original du « Projet d’une charte de la Résistance » que j’ai déposé au nom de FN à l’assemblée plénière du CNR, le 26 novembre 1943. Le programme du CNR, adopté seulement en mars 1944, reprend dans sa première partie presque intégralement notre projet et, dans la deuxième partie introduit quelques modifications dues notamment au représentant de la CGT, Saillant, et y ajoute des bribes du texte de Laffon.
C. W. : A l’automne 1943, Bollaert assume la délégation générale à la place de Jean Moulin, après l’intérim de Serreulles.
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