Publié le 27 Mai 2013
Article paru dans Médiapart
La maternité des Bluets : un monument d’histoire sociale sous les feux de l’austérité socialiste
En 1957, Jean Gabin fut, le temps d’un film, le docteur Laurent, adepte de la nouvelle méthode de l’accouchement sans douleur aux prises avec tous les préjugés, y compris de l’Ordre des Médecins. La scène finale était un véritable accouchement filmé en gros plan. Le film était alors dédié « respectueusement aux pionniers de la méthode psychoprophylactique d’accouchement sans douleur ». La dédicace ajoutait : « il a été réalisé avec l’aide de la maternité des métallurgistes à Paris où cette méthode a été pratiquée la première fois en France en 1952. »[1]
On l’appelait la clinique des « métallos ». Ouverte en 1947, elle était située dans le 11° arrondissement non loin du « 94 », local de la fédération CGT des métallurgistes de la rue Jean Pierre Timbaud. C’est en effet là qu’exerce le docteur Fernand Lamaze, promoteur de la méthode qui portera son nom en France. C’est là encore qu’en 1954 Louis Dalmas, fondateur (avec Raymond Depardon) de l’agence Dalmas, filme un accouchement. Le PCF fait une proposition de loi en 1953, votée en1956, pour la prise en charge les neuf séances de préparation par la sécurité sociale.[2]
Cette maternité existe toujours. Elle poursuit, dans les conditions d’aujourd’hui, ce long combat pour les femmes et la maîtrise de leur corps. La qualité des soins qui y sont dispensés, comme du suivi dont bénéficient les mères et futures mères comme leurs bébés est reconnue de façon unanime et lui vaut le label officiel « Ami des bébés »[3]. La maternité assure 3000 accouchements par an, le suivi de 1200 couples en PMA, la prise en charge de 1100 femmes en orthogénie. Maintenant installée dans le 12° arrondissement (depuis 2007) et adossée à l’Hôpital Trousseau, elle complète son activité par un centre de planning familial, et un centre de santé.
A sein de l’association Ambroise Croizat qui la gère, le sort de cette maternité est depuis longtemps lié à trois centres de rééducation professionnelle accueillant des stagiaires en reconversion contrainte pour raison de santé lourde : le centre Jean Pierre Timbaud, le centre Suzanne Masson et le centre Louis Gatignon dont les noms ne résonnent plus guère qu’aux oreilles des historiens et de militants avertis. L’histoire de ces centres s’enracine en effet dans les dynamiques populaires du XX° siècle : le premier CRP fut fondé en 1937 dans la foulée du Front Populaire et le centre Suzanne Masson en 1950, porté par l’Union Syndicale des Travailleurs de la Métallurgie CGT de la Seine dans la foulée de la Libération et de la création de la Sécurité Sociale… par un ministre nommé Ambroise Croizat. Aujourd’hui les trois centres assurent une véritable mission de service public et conduisent quelques 600 stagiaires chaque année vers leur nouveau métier.
Mais les réformes successives menées sous la règle de la rentabilisation des services de Santé er des critères financiers menacent de mort cet héritage, les services de qualité rendus à 3000 mères et 600 travailleurs handicapés par ans, et le travail de plus de 500 salariés.
C’est la maternité qui est aujourd’hui sur la sellette. Car il y a, sur la durée, une incompatibilité financière entre la tarification à l’acte (T2A) imposée en 2004 et la qualité du service rendu. Et les années passant, cette incompatibilité a un nom : celui du déficit de l’établissement estimé à plusieurs millions d’euros.
La vice présidente socialiste actuelle de l’Assemblée nationale, Sandrine Mazetier, avait consacré un long article à cette situation lors de sa campagne électorale Elle soulignait notamment que « l’établissement est pénalisé par le passage à la tarification à l’activité (T2A), strictement fondée sur les actes médicaux et de soins ponctuant le suivi des femmes enceintes, la préparation à la naissance et l’accouchement lui-même ». Mais cette non rentabilité a des causes médicalement positives : « Aux Bluets, le taux de césarienne est ainsi de quelque 14% quand, dans d’autres maternités, il s’élève à 40% voire plus. Or une césarienne est rémunérée près du double d’un accouchement par voie basse ».
Sandrine Mazetier critiquait alors « l’Agence Régionale de Santé (ARS), qui relaie la politique du gouvernement, remet en cause l’accompagnement financier de la Maternité des Bluets et lui demande d’assurer 200 accouchements et 200 procréations médicales assistées supplémentaires, à effectif constant, au nom de la « productivité ». Et de conclure : « En matière de santé, une nouvelle fois, l’Etat impose une logique comptable » alors que « l’ARS doit reconnaître les spécificités de la maternité les Bluets ».
C’était avant l’élection de François Hollande et de Sandrine Mazetier. Un an plus tard, l’Agence Régionale de Santé, toujours dirigée par le socialiste Claude Evin n’a pas changé de politique et reste sourde aux demandes réitérées de reprise du déficit de la maternité[4].
En 2012, une réorganisation de l’hôpital a été entreprise suivant des recommandations de l’ARS. Le déficit a été réduit. Mais l’absence persistant d’engagement durable de l’ARS auprès des banques met l’établissement en danger permanent de cessation de paiement. Les semaines passent. Les banques qui portent la trésorerie de l’association commencent à donner des signes d’impatience. Ce qui est en cause c’est la survie même de la maternité, et plus encore. En effet, si un dépôt de bilan a lieu sur l’autel des politiques d’austérité, ce sera celle de l’Association Ambroise Croizat elle-même, entrainant dans sa chute trois CRP qui eux, sont loin d’être déficitaires.
Que fait Sandrine Mazetier ? Que dit Marisol Touraine ?
Y a-t-il encore une politique publique de la Santé dans ce pays ? Y a-t-il encore des responsables et des ministres capables de discuter sur le fond et sur les principes politiques avec les professionnels d’un secteur dévasté ? Où ne reste-t-il que des directeurs d’agences comptables chargés de recevoir ces professionnels avec la mission de ne rien céder, de ne rien négocier, de laisser les politiques à l’abri de tout débat ? Quelles qu’en soient les conséquences. "Etrange capitulation" nous dit Laurent Mauduit[5]. Etrange peut-être, concrète partout, dévastatrice surement.
[1] “Le cas du docteur Laurent », film de Jean Paul Le Chanois, scénario de Jean Paul Le Chanois et René Barjavel avec Jean Gabin, Nicole Courcel, Silvia Montfort, musique de Joseph Kosma
[2] Marianne Caron-Leulliez, Jocelyne George, L'accouchement sans douleur, Histoire d’une révolution oubliée, 2004
[3] 18 établissements labélisés en France, un seul en région parisienne
[4] Evalué aujourd’hui à 6.3 millions d’euros
[5] L'étrange capitulation, Editions Gawsewitch, 201