Publié le 8 Mai 2010
Depuis ce matin, on nous rabat les oreilles sur le 9 Mai, date choisie pour en faire la fête de l'Europe, à partir de la mise en place par Robert Schuman de la Communauté Européeenne du charbon et de l'acier en 1951 (CECA) ; la CECA allait protéger l'acier européen, chacun sait ce qu'est devenue l'industrie de l'acier européen devenu l'acier d'un aventurier Mittal que s'en met plein les poches.
Cette CECA fut la piste d'essai de toutes ces politiques de destructration de l'industrie au point qu'aujourd'hui celles-ci sont d'un manque criant pour répondre aux besoins.
Certains font de Robert Schuman un grand homme, un saint, comme catholique ami de Pie XII, son dossier est en cours d'études par le Vatican ; mais ce politicien anticommuniste fut surtout un des serviteurs des maitres des forges lorrains et de la puissance américaine autour du plan Marshall. Une tâche indélébile lui restera, celle d'avoir voté les pleins pouvoirs à Pétain. Ensuite il ne fut ni résistant ni collaborateur, il se réfugia dans les monastères attendant la libération.
Je met en ligne une intervention que j'ai faite lors d'un colloque concernant cette CECA, créée par Schuman et par les Américains et qui montre que cette Europe qui est née à travers l'acier et le charbon avait dès le départ l'odeur du fric et du libéralisme dévastateur auquel les Schuman et Monnet ont prêté leur concours avec les socialistes de l'époque dont Guy Mollet et autres.
Bernard Lamirand
la ceca :( par Bernard lamirand ancien membre du comité consultatif de la CECA et ancien Secrétaire de la fédération CGT de la métallurgie) lors d'une conférence tenue à Grenoble à l'IEP (institut des études politiques).
Mesdames et Messieurs, je tiens à vous remercier l’IEP et son comite d’organisation de l’invitation qui m’a été faite en tant qu’ancien membre du comité onsultatif, pour vous parler de la façon dont mon organisation syndicale a vecu la creation de la ceca et son developpement.
Dans la présentation des entretiens de l’IEP, il est indiqué que l’objet de cette rencontre est de mieux connaître les positions passées et actuelles des syndicats envers l’Europe ainsi que celles des institutions européennes envers les syndicats, sur fond de questionnement sur l’ « Europe sociale ».
Je me bornerai, pour cette intervention, de vous parler du vécu historique de la CGT métallurgie concernant la mise en place de la CECA laissant à ceux qui ont des responsabilités syndicales aujourd’hui le soin de vous parler du présent et de l’avenir.
Le cartel de l’acier Sarre-Lorraine-Rhur a longtemps dominé le monde industriel, économique et politique avant guerre.
A la libération, celui-ci entendait reprendre toute sa place dans la nouvelle configuration politique et économique.
Les liens de certains maîtres des forges avec l’appareil d’état nazi nécessitaient cependant d’autres formes d’organisation que le vieux cartel d’avant guerre.
L’objectif des sidérurgistes français était de reprendre pied dans une Europe sous domination américaine, mais avec une crainte : la peur d’être nationalisée notamment là où les usines avaient travaillé à plein rendement pour l’industrie de guerre allemande.
Il fallait trouver des solutions.
Pour De Wendel, Usinor et Schneider s’ouvrait une nouvelle période : celle de retrouver une crédibilité et reconstituer une force de frappe sidérurgique dépassant le cadre des frontières françaises. Ce n’était pas un chemin inconnu pour les maîtres des forges ; leur implication d’avant guerre dépassait leurs intérêts régionaux respectifs :
De Wendel siégeait parallèlement dans les structures politiques économiques du Reich et de la France.
Schneider s’était assuré une présence en Tchécoslovaquie avec les usines Skoda.
Cette situation, la CGT l’avait dénoncée à cette époque. Il n’est donc pas étonnant que la Fédération des travailleurs CGT de la métallurgie, dés la libération du pays, se dresse contre ces maîtres des forges et leur mène un combat sans concession.
Elle le mène face au «combinat Rhur-Sarre-Lorraine » dit-elle dans l’Union des métaux, journal syndical.
Nous sommes en plein dans les années 1950, période de la Guerre froide où toute évolution se trouve placé dans les rapports est-ouest.
La scission syndicale dans la CGT a eu lieu avec la création de FO et le syndicalisme international s’est divisé.
La fédération CGT de la métallurgie est en première ligne pour défendre la paix retrouvée.
Il y a le risque de réarmement de l’Allemagne sous domination américaine qui l’inquiète.
Elle partage cette argumentation développée sur le plan politique par les partis communistes de l’Europe de l’Ouest qui viennent d’être exclus des gouvernements de la libération.
Elle a sa propre réflexion sur les questions de l’indépendance vis-à-vis des Etats-Unis ; ce sont des années où il faut faire face à la tentative d’instaurer une France sous tutelle américaine (plan Marshall).
Les menaces se précisent, la paix est précaire, des voix se font entendre pour employer l’arme atomique contre L’union soviétique ou en Corée. En même temps, domine le sentiment parmi les métallos de la CGT, très majoritaires dans le pays, que la reconstruction de l’Allemagne de l’Ouest va servir aux forces de guerre.
Les questions du minerai de fer, de l’acier, préoccupe la fédération des travailleur de la métallurgie CGT: «le minerai lorrain prend le chemin de la Ruhr » dit-elle ; (article dans l’union des métaux en NOVEMBRE 48). Il faut voir que les séquelles de la guerre sont loin d’être cicatrisées pour tous ces hommes et ces femmes qui ont combattu l’hitlérisme et fait de la résistance.
Les productions sidérurgiques évoluent plus favorablement pour l’Allemagne ; celle-ci voit sa production s’accélérer avec l’aide américaine et dépasser celle de la France dés le début des années 50.
La présentation du plan Schuman est alors considérée comme l’équivalent pour l’acier du plan Marshall. C’est un plan en faveur des marchands de canons dit-on à la fédération des métaux. (Démarche qui peut se comprendre dans l’état d’esprit de l’époque mais cette opinion empêche de voir le vrai objectif que la FTM CGT ne voit pas tout de suite : une réorganisation capitaliste de la production d’acier au niveau de l’Europe, prélude à d’autres mesures ensuite pour mettre en place une Europe libérale).
La fédération des métaux ne croit pas que la CECA est conçue pour mettre un terme aux batailles ancestrales et aux conflits entre l’Allemagne et le France comme le dit Robert Schuman. Ambroise Croizat, Secrétaire général de la FTM CGT, et ancien ministre du travail à la libération, s’exprimera avec force : « dire que le plan Schuman est un facteur de paix est une imposture. Ce n’est pas en unissant des matières premières sous le contrôle des états majors des marchands de canons que l’on peut créer les conditions de paix et de réconciliation allemande. » (Éditorial de l’union métaux de mai 51)
On le voit, ce qui domine, c’est surtout la crainte que ce plan serve à la remilitarisation de l’Allemagne de l’ouest sous la direction des Etats Unis.
L’Intervention d’André SHANEN, secrétaire de la fédération CGT (Union des métaux) en apporte démonstration en citant l’intervention du secrétaire d’état américain en déplacement à l’OTAN à Bruxelles : « Les impôts doivent être augmentés…l’ouvrier se basant sur l’exemple américain sera précipité dans le chômage pendant la reconversion vers les productions de guerre…. A vous de nous imiter …vous avez signé le plan Marshall, vous avez accepté les clauses du pacte atlantique, vous avez pris des engagements, alors, tenez-les. ».
La CECA va donc être vu comme un outil placé sous la férule des américains.
Elle sera en fait que l’amorce du marché commun et de la communauté européenne. Mais, en 1950, nous en sommes qu’à l’organisation du marché du charbon et de l’acier au niveau européen.
Des hommes politiques, en lien avec les USA, mettront alors les bouchées doubles pour créer les conditions d’une autorité européenne du charbon et de l’acier. J’en citerai les trois principaux protagonistes :
-Dean ACHESON ; ce n’est pas n’importe qui, c’est le ministre des affaires étrangères des Etats Unis d’Amérique, c’est l’avocat de la grande banque américaine MORGAN et de la STELL, le plus grand trust américain de la sidérurgie.
-Conrad ADENAUER chancelier Allemand; c’est l’ancien administrateur d’une dizaine de firmes allemandes d’avant guerre et porte-parole des sidérurgistes de la RUHR. Il a l’avantage d’avoir refusé de servir sous le nazisme.
-Robert SCHUMAN ministre français; c’est l’ancien avocat du comité des forges, il se présenta même avant guerre aux élections sur la liste du très réactionnaire De Wendel, IL DONNA LES PLEIN POUVOIR A PETAIN .
Inutile de dire que cet attelage pour créer la CECA a été combattu tout de suite par la fédération de la métallurgie.
« Le plan Schuman ne doit pas être vu uniquement sous l’aspect de la fusion des industries minières et sidérurgiques de la Ruhr et de la Lorraine. C’est remettre entre les mains d’une même autorité supranationale la production de l’acier du charbon sous le double signe du plan Marshall et du pacte atlantique » est-il indiqué dans un éditorial de la CGT métallurgie.
Nous voyons enfin que la FTM perçoit l’enjeu capitalistique de l’opération CECA.
La CECA est alors considérée comme le cheval de Troie du capitalisme américain qui dicte sa loi en Europe, elle reçoit en effet aides et subsides et des moyens modernes de fabrication de l’acier venant des Etats unis tels le train à bandes de Denain ainsi que La Sollac.
Les productions nationales sont considérées en danger, les sidérurgistes CGT en soulèvent les raisons.
La production d’acier, pivot du développement industriel économique évolue en faveur de l’Allemagne de l’ouest, c’est cette donnée qui influencera les dirigeants de l’époque pour dire que cette situation s’aggravera avec un cartel européen à dominante allemande.
Ce qui ne se vérifiera pas par la suite.
Le Plan Schuman est alors dénoncé systématiquement par la CGT.
Plus tard, la CECA sera considérée comme l’outil de régularisation du marché de l’acier et du charbon dans le cadre de la concurrence entre maîtres des forges au niveau international.
Dans la sidérurgie, la CECA va être au cœur des financements, pour certains pays et en particulier la France, du capitalisme monopoliste d’état : les subventions, les aides de toutes sortes d’états vont y abonder au rythme des restructurations décidées.
La CECA, c’était l’avenir assuré des régions minières et sidérurgiques, disait-on, pour faire accepter cet organisme supranational ; les sidérurgistes lorrains, de la Loire et du Nord de la France ont très vite compris, eux qui en furent les principales victimes, que leurs régions en subiraient les conséquences. De nombreuses luttes marquèrent les différentes étapes des restructurations notamment en Lorraine.
La toute puissance du marché commun puis de la communauté Européenne s’est affirmée au cours des décennies suivantes sur la CECA et les décisions prises étaient inspirées à ce niveau.
Quand je siégeais au comité consultatif, dans les années 80, je voyais venir les commissaires européens chargés de la politique industrielle et économique pour dicter la marche à suivre en fonction du marché de l’acier et en brandissant souvent la menace de l’article 58 stipulant « l’état de crise manifeste en cas de marasme de l’acier. Ce qui fut fait par la suite.
A voir comment les maîtres des forges français, qui au départ n’étaient pas très convaincus de cette création, ont profité de cette institution, il n’y a pas photo entre les sidérurgistes victimes et les maîtres des forges qui se sont tous enrichis en se reconvertissant à bon compte au moment de la reprise en main par l’Etat par le gouvernement Barre quand la sidérurgie française fut considérée en état de faillite.
La CECA a été au centre d’une des plus grandes casses industrielles du 20ème siècle, mais cependant d’autres aspects plus positifs méritent d’être soulignés :
-la recherche développement ; incontestablement la recherche a été un axe fort pour développer des productions d’aciers à haute performance.
- l’évolution des technologies et le développement des outils à forte capacité notamment avec des hauts fourneaux impressionnants et les techniques nouvelles pour produire de l’acier en coulée continue.
La CECA va en effet jouer un rôle important dans l’évolution des techniques de production de l’acier qui nous feront passer du stade des fours Martin aux aciéries à coulée continue, à la fabrication d’aciers de plus en plus perfectionnés.
De nombreuses luttes des sidérurgistes européens, dans les années de développement et de modernisation, ont apporté aussi de réelles évolutions des conditions de vie et de travail des sidérurgistes et l’aspect du logement des sidérurgistes a été pris en compte.
Finalement, La CECA aura été, non le cheval de Troie de l’industrie sidérurgique américaine, ou encore de la dominations des trusts allemands, comme le pensait, dans le contexte de l’époque, les dirigeants CGT, mais plutôt le moyen pour recomposer le capital dans cette industrie.
Prenons par exemple ce discours si longtemps employé par les responsables de la communauté européenne du charbon et de l’acier - que des sacrifices étaient nécessaires pour assurer le devenir de l’acier Européen- ; les restructurations faites dans tous les pays d’Europe, comme dans un jeu de monopoly, ont complètement modifié les structures existantes conduisant à des géants de l’acier qui se sont ensuite spécialisés sur les créneaux les plus profitables.
Ils ont réuni puis séparé des productions utiles, ils ont détruits ou vendus ce qui rapporté le moins, ils ont investis et délocalisés dans les pays à bas coûts de main d’œuvre, pour, au bout du compte, se faire avaler par un plus gros poisson qu’eux, avec en France une OPA où des milliards d’Euros ont été bradés dans un bras de fer qui a tourné à l’avantage d’un flibustier international, Mittal, un repreneur, dépeceur d’usines sidérurgiques en perdition devenu un des principaux producteurs d’acier dans le monde.
Beau résultat de cette CECA et de l’Europe libérale. Robert Schuman proposait de faire une grande industrie de l’acier européenne, la soif de profits a abouti à autre chose : rendre dépendant l’acier européen.
La CECA a été dissoute mais finalement elle a rempli son rôle : être un organisme utile pour des stratégies plus large du capital que l’horizon européen.
Elle a failli dans son rôle de protéger l’acier Européen et son argumentation des années 80 que l’acier était en voie de régression est aujourd’hui battue en brèche par la pénurie du fait des besoins actuels et notamment dans les pays émergeants.
Une dimension que les libéraux de la commission de Bruxelles n’ont pas voulu voir dans leur recherche obsessionnelle du profit maximum.
La fermeture d’installations à Gandrange Rombas, en Lorraine, est le dernier avatar de ces fusions absorptions et nous voyons le premier ministre français Fillion indiquait à la sortie d’un conseil interministériel ce lundi que la question essentiel : c’est le maintien des capacités de production de l’acier en France.
Pourquoi ne pas l’avoir dit plus tôt au temps où se détruisait des dizaines de milliers de tonnes de capacité de production.
Je vous remercie.