LA CRISE SYSTEMIQUE ACTUELLE :
Une crise de civilisation. Ses perspectives et des propositions radicales.
Depuis trois ans, les
médias mais aussi les spécialistes parlent de « la crise » de l’économie à l’échelle mondiale.
La thèse que je veux présenter est qu’avec cette crise au plan économique, mais aussi au- delà de
l’économie, il s’agit, d’une part, d’une crise systémique véritablement radicale et, d’autre part, qu’y interfèrent tous les plans de la vie en société. C’est
une véritable crise de civilisation, la civilisation occidentale désormais mondialisée.
C’est à ce sujet que je vais présenter une problématique et des hypothèses de travail.
Il s’agit 1°) d’éléments sur la nature de la crise systémique, 2°)
d’hypothèses sur son tournant récent ainsi que sur ses perspectives et enfin 3°) des axes de propositions.
Cela renvoie aux trois parties de l’exposé:
I. La crise de civilisation et les révolutions des opérations techniques et sociales
II. Défis de la crise de la civilisation occidentale mondialisée. Hypothèses sur son tournant récent et ses
perspectives.
III. Des propositions pour maîtriser et commencer à dépasser les marchés et les délégations
représentatives
I. Première partie.
La crise de civilisation et les révolutions des opérations techniques et sociales.
1) Problématique des crises de la civilisation occidentale au
plan économique et anthroponomique.
Par hypothèse, une civilisation concerne deux systèmes : le système économique et le système que
j’appelle anthroponomique (le social non-économique) ainsi que leur combinaison dans un cadre géographique et historique déterminé, pour un mode de créativité. Ainsi, notre civilisation se
rapporte à l’économie du capitalisme et à l’anthroponomie du libéralisme, dans le cadre occidental de l’Europe puis des Etats- Unis, du 16ème siècle à nos jours. La civilisation occidentale s’est
aujourd’hui pleinement mondialisée, et cette mondialisation est un des facteurs de sa crise radicale.
A) Éléments sur les crises du capitalisme jusqu’à sa crise
systémique actuelle.
Le système capitaliste, caractérisé par les rapports entre salariés et capitalistes recherchant la rentabilité
des capitaux et leur accumulation, est affecté par des crises périodiques. Ces crises sont définies par une surproduction. Aussi, à l’opposé des illusions sur l’autocorrection du système,
devenues dominantes avant la récession mondiale de 2008-2009, Paul Krugman, prix dit Nobel d’économie en 2008, publie en 2009 un ouvrage intitulé « The Return of Depression Economics and
the Crisis of 2008 » traduit en français sous le titre : « Pourquoi les crises reviennent toujours » (Seuil, Paris, 2009). Il y oppose à la déclaration de Robert
Lucas, prix Nobel d’économie en 1995, selon laquelle « le principal problème de la prévention de la dépression a été résolu en pratique », et à ce qu’il appelle « la doctrine
fanatique » de l’économie de l’offre, « les insuffisances de la demande globale », selon l’expression keynésienne, (ouvrage cité, page 13 et 192). Cependant, derrière
l’insuffisance de la demande globale il y a l’opposition entre capital et salariés.
Au fondement des crises de surproduction, Marx avait analysé la « suraccumulation » des capitaux.
Cette suraccumulation résulterait, selon notre analyse néomarxiste, après une phase de croissance de l’emploi aboutissant à une montée des salaires contre le profit, à la réponse capitaliste du
remplacement accéléré de salariés par des machines-outils. En effet, les machines-outils remplaçant les mains caractérisent la révolution industrielle qui conditionne la créativité du système
capitaliste. D’où l’excès d’accumulation en machines et en moyens matériels et donc de production par rapport à l’insuffisance de la consommation salariale, avec les difficultés de la rentabilité
des capitaux.
Cela concerne ainsi des crises cycliques, avec phase de croissance puis crise, avec des cycles de Juglar de
moyenne période, de 7 à 12 ans et les cycles de Kondratieff de longue période, de 48 à 60 ans. Ces derniers comportent une longue phase de tendance ascendante et une longue phase de
tendance aux difficultés qui correspond à une crise systémique, comme celle de l’entre-deux-guerres mondiales.
Alors, à une suraccumulation relativement durable des capitaux dans la production, répondent la progression de
l’accumulation financière, et aussi de nouvelles technologies, économisant le capital matériel, diminuant le rapport capital/produit ou faisant monter le rapport produit/capital. Cela entraîne en
plus de l’économie du travail direct dépensé, l’économie du travail contenu dans les moyens matériels, en contribuant ainsi au chômage massif.
On est sorti de la crise de l’entre-deux-guerres par des transformations systémiques permettant de relever la
demande, notamment en investissements, en faisant reculer l’exigence de rentabilité dans les secteurs lourds. C’est le développement du secteur public, des nationalisations en Europe ou des
Public Utilities aux Etats- Unis, permettant la relance des groupes privés monopolistiques, dans ce que l’on a pu appeler le capitalisme monopoliste d’Etat social ou encore l’économie mixte du
Welfare State. Après une longue phase de croissance, nous sommes entrés, vers 1967-1974, dans une nouvelle crise systémique, mettant notamment en cause l’importance du secteur public, avec
son allongement indéterminé .
B) Éléments sur les crises du libéralisme jusqu’à la crise de
civilisation en cours.
Dans la civilisation occidentale, le libéralisme se rapporte à ce que j’appelle l’anthroponomie. Cela concerne
les aspects non économiques de la société, avec leurs quatre moments : le moment parental, les activités de travail (comme transformant les êtres humains), le politique, le culturel.
Le libéralisme et sa créativité sont caractérisés par les rapports contractuels entre individus libres et
égaux en droits, mais inégaux du point de vue de la disposition des moyens matériels et culturels. Le libéralisme est fondé sur des relations de délégation représentatives. Ces délégations se
retrouvent dans les quatre moments de l’anthroponomie : délégation aux chefs de familles, aux chefs d’entreprises, aux élus des assemblées et aux chefs de gouvernements et d’Etats, aux
auteurs pour la culture. Les rapports de délégation de pouvoir d’appuient sur des représentations objectivées, dominées par les délégués.
Dans ces conditions, aux crises systémiques de suraccumulation durable des capitaux correspondraient des crises
de surdélégation représentatives, c’est à dire d’excès de délégation et de représentation, relativement coupées des réalités sociales transformées.
Cela se rapporte à la crise la plus évidente, celle du moment politique. C’est la montée des désaffections pour
les élus, avec la progression de l’abstention, ou encore des protestations, pour des alternatives extrêmes de gauche ou de droite, ou encore la réponse du conservatisme plus ou moins
exacerbé.
Cependant, ces dissociations affectent aussi les rapports parentaux, les activités de travail, la
culture.
La réponse aux crises des délégations représentatives excessives se fait par un élargissement des
références des délégations et des représentations. Ainsi, après la crise systémique de l’entre-deux-guerres, c’est l’élargissement de la démocratie libérale avec ses références sociales
nouvelles, l’importance des questions sociales et des salariés, le vote des femmes, la sécurité sociale, dans les Etats-Providence occidentaux, ou encore, à l’opposé des colonies, la montée des
nations en développement se voulant indépendantes dans le monde entier, et l’institution de l’ONU.
Cependant, après la longue phase de croissance succédant à la deuxième guerre mondiale, nous sommes entrés dans
la crise systémique actuelle. Par hypothèse, il s’agirait d’une crise systémique radicale, c’est à dire pouvant mettre en cause l’existence même du système, ou du moins sa domination,en
raison des révolutions des opérations techniques et sociales.
2) Révolution des opérations économiques et anthroponomiques.
A. Au plan économique.
Il s’agit de la révolution informationnelle, de la révolution monétaire et de la révolution écologique.
La révolution informationnelle (concept auquel j’ai abouti en 1983) succède à la révolution industrielle et permet son achèvement. Tandis que la révolution industrielle
développe le remplacement de la main des travailleurs par les machines-outils, c’est un remplacement de certaines opérations du cerveau, comme avec les ordinateurs.
Et surtout, désormais, les informations, comme les résultats d’une recherche, tendent à devenir prédominantes,
plus importantes que les machines, dans la production. Or une même information, comme le résultat d’une recherche, à la différence d’une machine qui est ici ou là, base de sa propriété privée
capitaliste, peut être partagée jusqu’à l’échelle du monde entier.
Une implication fondamentale est la récupération de ce partage par le capital privé monopolistique, face à la
suraccumulation des entreprises publiques. Appuyé sur la remontée de l’idéologie du libéralisme, cela va favoriser la privatisation, avec l’expansion des entreprises multinationales. En effet,
une entreprise privée multinationale peut bien davantage partager les coûts informationnels (de recherche, de distribution, de publicité, etc.) qu’une entreprise publique purement nationale. Avec
la maîtrise des transferts informationnels mondialisés des technologies, cela va favoriser l’industrialisation du monde et la salarisation massive, avec la montée formidable des pays émergents.
Cependant, à l’opposé de partages généralisés devenus possibles, les entreprises multinationales tendent à mettre en concurrence les salariés du monde entier et développent aussi la
concurrence entre elles.
La révolution informationnelle, avec notamment l’automation, va élever fortement la productivité du travail et
aussi des capitaux matériels.
Ainsi, nous avons de nouveau l’élévation du rapport produit/capital, avec les économies de capital matériel. On
le voit sur le graphique à propos des Etats -Unis, de même qu’après 1929. Nous voyons après la baisse du rapport produit/capital du tournant de la crise, son élévation ultérieure, après 1982. On
pourrait aussi prendre en compte les graphiques sur plusieurs pays analysés dans mon livre de 2009, Transformations et crise du capitalisme mondialisé. Quelle alternative ?(
ouvrage cité, Le Temps des Cerises, p.92) Il faudrait en outre considérer les économies de matières, tout particulièrement pour les services qui progressent considérablement.
Toutefois, l’évolution est différente pour des pays émergents, comme la Chine, en raison de la montée de l’industrialisation. Avec les économies de travail direct et de travail contenu dans les
moyens, c’est de nouveau la tendance au chômage massif durable, avec en outre, en raison des à-coups technologiques, la prolifération de la précarité des emplois.
A cette révolution informationnelle est intimement liée la révolution monétaire, de
décrochement presque complet de la monnaie par rapport à l’or. Cela s’est opéré par décrochements successifs, de 1971-1973 (avec l’inconvertibilité du dollar en or) à 1979-1982. La révolution
monétaire a contribué à une création monétaire effrénée ,tout particulièrement en dollars, à la montée extraordinaire des crédits pour les marchés financiers et la spéculation. Le dollar
est devenu la monnaie mondiale de fait. Et cela a permis l’endettement public international formidable des Etats- Unis.
Il faut enfin considérer la révolution écologique. Elle a trois dimensions : la tendance à
l’épuisement des ressources naturelles traditionnelles comme des ressources énergétiques fossiles, les pollutions devenues intolérables pour la santé, jusqu’aux risques du réchauffement
climatique, et enfin les nouveaux domaines écologiques, de l’espace à la profondeur des océans, aux biotechnologies et aux nano-technologies. Cela entraîne des majorations de coût mais aussi des
besoins de reconversion fondamentale des productions.
B. Les révolutions dans le domaine anthroponomique.
Intervient d’abord l’autre face de la révolution informationnelle concernant la vie humaine,
avec la succession de la révolution de l’imprimerie, par la révolution du numérique et de la télécommunication des informations, fondée notamment sur les ordinateurs personnels. Cela permet
un accès sans précédent de chaque individu aux informations de toutes sortes et leur circulation dans tous les sens. Cela peut s’opposer à la scission entre auteurs et lecteurs de l’imprimerie,
avec la possibilité de réponse et de modification personnelle des informations. Il y a un potentiel de participation de chacun à la créativité. Mais cela est récupéré et dominé encore dans le
système par de grands services monopolistiques, tendant à exacerber de nouvelles scissions et les fractures informationnelles sociales.
Il faut aussi considérer la double révolution démographique, avec un décalage entre les pays
développés et le reste du monde.
1) La réduction très forte de la fécondité et de la natalité
2) La révolution de la longévité, avec la très forte progression de l’espérance de vie jusqu’à l’échelle mondiale.
C’est ensuite la révolution parentale, surtout dans les pays occidentaux, en liaison notamment
avec les techniques de contraception, mais aussi tendant à s’étendre. Ce sont : l’importance considérable des divorces, des couples non mariés avec enfants, de la montée de l’égalité des
femmes dans la direction des familles, des familles monoparentales, des parentés recomposées, des couples homosexuels, etc., Cela met en cause les mœurs traditionnelles, jusqu’à l’échelle du
monde entier.
C’est encore la révolution migratoire : à l’opposé de l’époque de l’impérialisme colonial,
la forte pression migratoire des pays du Sud en direction du Nord et des régions en développement vers les régions les plus développés, avec les défis massifs de l’intégration ou des rejets, du
métissage, ou du multiculturalisme.
C’est enfin la révolution militaire : avec la prolifération des armes de destruction
massives, tout particulièrement de l’arme nucléaire.
IIè partie. Défis de
la crise de la civilisation occidentale mondialisée. Hypothèses sur son tournant récent et sur ses
perspectives.
1) Exacerbation du capitalisme et du libéralisme, de leurs progressions et de leurs rejets sociaux.
A. Déréglementation, progression et montée des contradictions du capitalisme mondialisé.
Il y a, à la fois, progression de l’industrialisation et de la salarisation dans le monde et aussi
l’extension maximum et même l’exacerbation des marchés et de la domination des capitaux. Cela se rapporte aux déréglementations systématiques. Elles concernent les quatre marchés :
1) Le marché
des produits et des services, avec les privatisations dans le monde entier et l’expansion des firmes multinationales,
2) Le marché monétaire et financier, avec l’explosion des marchés financiers,
3) Le marché du travail, avec la montée du chômage et des emplois précaires,
4) Le marché international, avec l’Organisation Mondiale du Commerce, les baisses importantes des protections douanières et non douanières, les
zones de libre-échange pluri-nationales, depuis celle de l’Union Européenne.
Soulignons les progressions, comme l’expansion industrielle des pays émergents. Mais il faut aussi insister sur
la montée des contradictions.
1) La montée à l’échelle mondiale, non seulement de la salarisation, mais du chômage et de la précarité. Selon le BIT, le chômage mondial serait
passé graduellement de 100 millions en 1988 à 160 en 2001, avec un bond à212 millions en 2009. Avec la promotion massive du travail salarié des femmes dans le monde, c’et l’importance de
leur inégalité : 65% des emplois précaires sont féminins contre 58% chez les hommes, et les deux tiers des 776 millions d’illettrés sont des femmes.
2) La réduction de la part des salaires dans les valeurs ajoutées (avec une baisse de sept points dans les pays développés, de 1980 à 2007, et
l’explosion des inégalités de revenus et de patrimoines.
3) La progression formidable des marchés financiers et des spéculations, des banques et des Fonds de placements, ainsi que des prélèvements
financiers, intérêts et dividendes.
4) La montée extrêmement importante des prélèvements publics et sociaux, mais encore plus des dépenses publiques et sociales. C’est donc aussi
l’importance des déficits publics et sociaux et de la progression des dettes publiques, spécialement dans les pays de l’OCDE.
Il s’agit tout particulièrement de l’endettement public international colossal des Etats Unis, en relation
avec la montée formidable des déficits de leur balance commerciale et de leur balance des paiements courants (800 milliards de dollars en 2008), comme on le voit sur le graphique. C’est, de
façon corrélative, l’énormité des réserves en dollar et des bons du Trésor des Etats Unis dans les banques centrales étrangères, notamment celles du Japon et de la Chine (en Chine plus de 2 000
milliards de dollars de réserve en 2009 dont près de la moitié en bons du Trésor des USA).
B. Montée de l’individualisme, des crises d’autorité et de la crise des mœurs dans le monde
C’est l’exacerbation du libéralisme et de son individualisme dans les pays développés, et l’extension d’éléments
institutionnels du libéralisme dans le monde entier. D’où les crises de l’autorité dans tous les domaines.
Ce sont les mises en cause de l’autorité maritale et parentale, des directions des entreprises et du
travail, des pouvoirs politiques, avec les hyperdélégations du présidentialisme et des pouvoirs supra-nationaux dans les zones de libre échange comme l’Union Européenne, des pouvoirs
culturels traditionnels, battus en brèche par la télévision et par l’internet.
C’est aussi la radicalité des affrontements sur les mœurs et sur les valeurs. C’est le cas des défis du
métissage culturel, avec les adoptions et les rejets, dans les pays en développement et émergents, ou encore dans les populations immigrés et dans les banlieues des métropoles des pays du
Nord.
2) Progression de la mondialisation de la civilisation occidentale. Exacerbation des conservatismes et des intégrismes
opposés.
Partout dans le monde, c’est l’énorme progression de l’industrialisation, de la salarisation, de l’urbanisation
et, malgré les importantes résistances traditionnelles, des émancipations individuelles et des femmes. A l’échelle mondiale, la population urbaine serait passée au cours du XXe siècle de 220
millions à 2,8 milliards de personnes. 2008 marque un tournant historique avec plus de 50% de la population mondiale vivant dans des zones urbaines. Toutefois, monte aussi l’exaspération des
conservatismes.
C’est l’effondrement des dites « utopies révolutionnaires » et l’hégémonie culturelle du néo-
libéralisme. Cela se rattache à l’effondrement de l’Union Soviétique. C’est la désaffection pour le marxisme et même pour le keynésianisme, sans parler des illusions sur la fin de
l’Histoire.
Cela va jusqu’à la montée d’intégrismes opposés :
1) Intégrisme occidentaliste de l’apologie du libéralisme et du marché, y compris le « fanatisme » des économistes dominants selon
l’expression de Krugman, jusqu’à sa combinaison avec le moralisme conservateur des sectes évangélistes aux Etats-Unis contre la libération récente des mœurs,
2) Intégrisme islamiste de réaction aux mœurs occidentales contemporaines, contre leurs émancipations et aussi leurs débordements.
D’où aussi les affrontements meurtriers du terrorisme islamiste dans plusieurs pays et les guerres impulsées par les Etats- Unis en Irak et en
Afghanistan.
3) Hypothèses sur le tournant récent dans la crise systémique
A. Le tournant économique de2008-2010
On peut faire l’hypothèse que les trois actes des effondrements de la crise financière de 2008, de la récession
à l’échelle mondiale de 2009, puis de la crise de l’euro de 2010 constituent un véritable tournant dans la crise du capitalisme mondialisé.
Dans une grande partie de la crise systémique, les poussées d’insuffisance de la demande globale ont pu être
compensées, dans une certaine mesure, par les endettements des entreprises, des ménages et des Etats, avec la montée de l’accumulation financière.
Ainsi la dette des ménages, des entreprises, des institutions financières, du secteur public connaît une
très forte croissance aux Etats -Unis depuis 1980, jusqu’à atteindre 358% du PIB en 2008, plus du double du pourcentage de 1933 (Voyez le graphique sur les endettements des ménages).
Mais à partir de 2007 – 2008 éclatent des crises de surendettement profondes et durables. On connaît la crise de surendettement, née aux Etats-Unis, dite des « subprimes », ou prêts
hypothécaires à risques pour achats de logements à des millions de ménages aux revenus modestes, car garantis par la montée spéculative des prix des logements. Cette crise a fini par éclater
avec, les incapacités de remboursements des prêts. Cela a déclenché les pertes formidables des banques aux Etats- Unis et en Europe en 2008.
Cette crise majeure va entraîner l’autre élément du tournant : les interventions extraordinaires des Etats,
de soutien des banques, Fonds et assurances, jusqu’à des prises de participation publiques et même des nationalisations et de nouvelles institutions publiques.
Cela va provoquer le deuxième acte du tournant, avec les restrictions de crédits : la première récession à
l’échelle planétaire depuis la deuxième guerre mondiale, à la fin de 2008 et en 2009.
Cependant, contrairement aux années 1930, même s’il y a déflation de la dette des ménages, le relais est
pris par la création monétaire et surtout par la dette publique comme on le voit sur le croisement des deux courbes aux Etats -Unis.
Toutefois, les critères des banques et des Fonds ne sont pas changés. Et donc l’énorme spéculation est relancée.
Cela va entraîner le troisième acte du tournant en 2010, avec les pressions des endettements publics considérablement accrus pour le soutien des banques et pour les plans de relance.
La dette souveraine mondiale avait déjà atteint fin 2009, 49 500 milliards de dollars (Voyez le graphique
sur le bond des dettes publiques de 2007 à 2009). En 2010 explose la crise de la spéculation contre les titres de dette publique dans l’Union Européenne, de la Grèce à l’Espagne, au Portugal, à
l’Irlande ou l’Italie. C’est la crise de l’euro, qui provoque les interventions interétatiques, celles de la BCE et du FMI, la création du Fonds de stabilisation européen et des plans de rigueur
sociale.
B. Interactions entre économie et anthroponomie
Au plan politique, il faut souligner le retour des interventions étatiques très massives. Elles sont non
seulement nationales, mais aussi désormais interétatiques avec notamment le rôle des G20 et du FMI. Cela se relie à la crise idéologique de mise en cause des illusions sur les marchés
autorégulateurs et de délégitimation du capitalisme, dont des dirigeants occidentaux ont pu dire qu’il était devenu fou, et enfin de l’hyper libéralisme mondialisé.
Par ailleurs, l’ampleur des Fonds d’investissements plus ou moins spéculatifs est liée à l’importance des
placements dus à la progression du nombre des retraités, des assurances et des Fonds de pension. On pourrait encore considérer le lien des besoins considérables de logements avec la crise
parentale. Une étude du Centre d’analyse stratégique de 2009 affirme : « les dépenses de logement… ne cessent de croître…l’augmentation du nombre des ménages s’élève en effet à
1,2% par an, le triple du chiffre enregistré pour la population générale. La tendance à la « décohabitation » des couples est la principale explication » (étude citée
p. 11). Enfin, c’est l’impact éventuel du relèvement des dépenses militaires, liée à la guerre en Irak puis en Afghanistan après l’attentat du 11 septembre 2001, sur la remontée des taux
d’intérêts de 2005 à 2007. Ces dépenses sont évaluées aujourd’hui à environ 1000 milliards de dollars, tandis que Joseph Stiglitz et Linda Bilmes ont publié en 2008 « Une guerre à 3 000
milliards de dollars » (traduction française, Fayard, 2008).
4) Hypothèses sur les perspectives de la crise systémique planétaire
A. Perspectives économiques
A travers la reprise actuelle de la croissance mondiale montent les risques majeurs d’un quatrième acte
d’éclatement d’un surendettement encore plus grave, d’ici quelques années.
Dans les « Perspectives de l’économie mondiale » du FMI de juillet 2009 puis de juillet 2010,
les inégalités, les contradictions, et les risques considérables de la reprise mondiale en cours sont indiqués. Même si leur gravité et leur radicalité sont sous-estimées, avec une
remontée de l’optimisme en 2010 et la focalisation sur le court terme.
A propos des inégalités très fortes des croissances, comme on le voit sur les courbes pour 2010, si
l’activité mondiale devrait croître de 4,6% en 2010, il y a une opposition entre les pays avancés passant de -3,2 en 2009 à 2,6 en 2010 et les pays émergents et en développement, passant de 2,5 à
6,8 (et pour la Chine de 9,1 à 10,5). Et depuis, est montée l’inquiétude sur le chômage aux Etats-Unis.
A propos des contradictions, les études du FMI évoquaient le « choc financier » ou la « faiblesse
structurelle de la consommation » surtout dans les pays avancés. Et à propos des risques graves, on souligne « les doutes … quand à la viabilité de la dette publique de certains
pays » qui « pourrait faire monter les rendements obligataires », « les risques considérables persistants dans le secteur bancaire », ou le risque « d’ajustement
désordonné des taux de changes » et même de « déflation » dans les pays avancés.
On peut considérer, avec la maturation des trois révolutions, monétaire, informationnelle et
écologique :
1) L’éclatement probable, dans quelques années, de l’excès des dettes publiques, non seulement dans l’Union Européenne,où il y a déjà des
tentatives de freinage, mais un peu partout et surtout pour les Etats Unis. Ce serait la mise en cause de l’utilisation dominatrice du dollar, la remontée des taux d’intérêts de long terme contre
les investissements, les affrontements entre monnaies (qui ont déjà commencé avec la crise de l’euro), le reflux des capitaux des pays émergents .
2) L’éclatement corrélatif des surinvestissements, face notamment à la limitation des emplois et des demandes dans les pays
développés : surinvestissement dans l’industrie, surtout depuis les pays émergents, y compris la Chine, avec l’insuffisance des demandes extérieures et intérieures ; surinvestissement
dans les services informationnels des grands groupes des pays avancés. D’où la relance et l’aggravation des difficultés de la croissance et du chômage à l’échelle mondiale.
3) L’explosion de besoins sociaux nouveaux et des défis de leur refoulement par les firmes multinationales. Il s’agit de l’extrême gravité des
pollutions et des risques, pour le climat, pour les prix des ressources naturelles, l’alimentation mondiale, la santé.
B. Perspectives anthroponomiques
Cela concernerait un redoublement des crises d’autorité et de surdélégations représentatives (avec la
« société de défiance généralisée », selon la formule de la sociologue Dominique Schnapper), de l’utilisation de « boucs émissaires » pour détourner les colères sociales, et
des besoins de pouvoirs nouveaux On pourrait aussi considérer :
1) La montée des exigences liées à l’allongement de l’espérance de vie et à l’augmentation du nombre des personnes âgées dans les pays
développés, mais aussi désormais dans presque tout le monde. A cela se relient les besoins de l’émancipation des femmes dans le monde entier. Cela interfère aussi avec la question de
l’éradication du Sida.
2) La montée des violences et donc des exigences concernant l’insécurité. Cela va de la persistance des terrorismes, des guerres en Irak
et en Afghanistan, aux conflits interethniques dans les pays en développement, aux dérives de violence et de répression dans les banlieues de métropoles, jusqu’aux risques de
prolifération des armes nucléaires comme en Iran.
3) La
montée de graves difficultés et manques concernant les pouvoirs et les cultures, du plan local jusqu’à la gouvernance mondiale.
IIIè partie. Des propositions pour maîtriser et commencer à dépasser les
marchés et les délégations représentatives : vers une civilisation de partages de toute l’humanité.
Avec la remontée des interventions massives des Etats, des transformations importantes sont envisagées par les
dirigeants eux mêmes.
Cependant, il s’agit de transformations limitées qui respectent les intérêts établis, malgré leur ambition
affichée.
Cela se rapporte à des dispositions sur la régulation financière. C’est le cas des intentions exprimées et des
mesures des G20 de 2009 sur les réglementations des banques, des fonds spéculatifs et des paradis fiscaux. C’est le cas de la loi sur la régulation financière obtenue par le président Obama en
juillet 2010, annoncée comme la plus vaste réforme du secteur financier depuis la dépression des années 1930, mais finalement si édulcorée qu’on a pu parler à son propos de
« victoire du lobby bancaire ».Ou encore, c’est le cas des récentes décisions en Europe.
Cela se rapporte également aux dispositions et aux illusions sur les solutions aux grands défis sociétaux de la
santé, de l’éducation, des changements climatiques, grâce à des progrès des techniques d’information et de communication, dominées par les sociétés multinationales. A ces illusions se relient les
résistances des intérêts et des idéologies établies. Elles se prévalent de nécessités prétendues naturelles. C’est le cas, par exemple, à propos du raidissement conservateur pour travailler
le plus longtemps possible et des affrontements sur les retraites en France, à l’opposé d’une avancée fondamentale de civilisation afin de bénéficier du progrès formidable de la longévité en
bonne santé, avec la promotion du temps de vie pour des activités sociales libres et créatrices des retraités.
C’est pourquoi je veux évoquer un horizon de hardiesse de nouvelles constructions et des propositions de
transformations radicales, mais aussi de progression des libertés pour dépasser celles du capitalisme et du libéralisme. Ces mesures se veulent opératoires et pouvant inspirer
l’orientation d’avancées immédiates
1) Maîtriser et commencer à dépasser les quatre marchés du capitalisme mondialisé
A. Marché du travail : sécurité d’emploi ou de formation
En France, ma proposition d’une « Sécurité d’emploi ou de formation » a contribué au projet de
« Sécurité sociale professionnelle de la CGT » et cette dernière au consensus de tous les syndicats sur la « Sécurisation des parcours professionnels ».
Je propose d’avancer partout, par des mesures graduelles, vers un système de sécurité d’emploi ou de
formation. Ce dernier, pleinement réalisé, assurerait à chacune et à chacun, soit un emploi soit une formation rémunérée, pour revenir par la suite à un meilleur emploi, avec une continuité de
bons revenus et droits et avec des passages d’une activité professionnelle à une autre, des rotations emploi/formation, maîtrisées par les intéressés.
B. Marchés monétaire et financier : nouveau crédit et monétarisation des dettes publiques
La première transformation concernerait un nouveau crédit. Il s’agit d’un crédit bancaire avec des taux
d’intérêt très abaissés, jusqu’à zéro ( et même négatif, c’est à dire avec des réductions de remboursement), pour des crédits longs pour les investissements réels, matériels et de recherche, avec
des taux d’autant plus abaissés que sont créés de bons emplois et formations. Cela se réfère à des constructions sur quatre niveaux :
1) Le
niveau local et régional, avec des Fonds régionaux.
2) Le
niveau national, avec un pôle financier public.
3) Le niveau zonal, comme celui de la Banque Centrale Européenne, ou celui de la Banque du Sud qui s’installe en Amérique Latine. La BCE
refinancerait les banques ordinaires pour le nouveau crédit.
4) Le niveau du monde. Cela concerne une refonte du FMI avec la suppression de la minorité de blocage des Etats- Unis sur les votes. Une
véritable monnaie commune mondiale serait instituée, à partir des droits de tirage spéciaux (DTS). Déjà en 2009, le gouverneur de la Banque Centrale de Chine a suggéré l’institution d’une monnaie
de réserve internationale non reliée à un seul pays, c’est à dire autre que le dollar, à partir des DTS. On viserait un refinancement des Banques Centrales pour le nouveau crédit.
Une seconde transformation concernerait la prise de dettes publiques par la création monétaire des banques
centrales et par le FMI nouveau. L’enjeu d’une transformation radicale consisterait en des prises systématiques pour financer une expansion massive des services publics en coopération. Déjà, on a
pu proposer, face à la crise des dettes publiques européennes et de l’euro, une prise systématique de ces dettes par la BCE, avec un Fonds de développement social, pour les services
publics.
C. Marché des productions : critères de gestion, services publics, refonte écologique et culturelle des
productions
De nouveaux critères de gestion d’efficacité sociale des entreprises pourraient faire reculer les critères de
rentabilité dans une mixité conflictuelle et évolutive. A l’opposé de la rentabilité « profit/capital », on combinerait économie de capital et dépenses de développement des êtres
humains. On s’appuierait sur des critères d’efficacité du capital : « valeur ajoutée/capital ».
Face à la gravité des défis écologiques, de simples taxations ou des objectifs de réduction, comme pour
les émissions de CO2, sont insuffisants. Ils sont contrecarrés par les productions installées et les gestions des grands groupes. Les limitations et règlementations devraient donc être articulés
à d’autres critères de gestion pour économiser les moyens matériels. Elles seraient aussi reliées à des refontes systématiques des types de production et de consommation, impulsées par des
services publics nationaux de l’environnement, coopérant au plan international, à l’opposé des illusions sur le capitalisme vert.
Le développement de participations publiques dans les entreprises, permettrait le développement culturel
d’expansion des recherches et des formations.
D. Marché mondial : coopérations et co-développement
Avec des mesures de compensation des dissymétries des échanges, des accords de coopération permettraient
des réciprocités. On remplacerait l’Organisation Mondiale du Commerce par une Organisation de Coopération et de maîtrise du commerce mondial pour le Co-développement. Des joint-ventures nouvelles
ou co-entreprises et des accords de développement en commun pourraient s’opposer aux dominations d’ Etats et des multinationales des zones de libre-échange, transformées en zones de
coopération.
E. Une mixité d’expansion des services publics jusqu’à des biens communs publics de l’humanité
Des biens publics mondiaux ont été proposés par le Programme des Nations Unis pour le Développement, mais, avec
une contradiction fondamentale. On admet que cela peut concerner des biens que le marché ne peut pas produire, du moins sans modification de ses règles. Mais la liste comprend l’efficacité des
marchés. Alors qu’on peut penser que c’est la maîtrise et même le dépassement des marchés par des partages qui permettra de développer ces biens publics. Leur liste comprendrait donc
l’environnement, l’eau, l’alimentation, l’énergie, les transports, mais aussi la monnaie et la finance partagées ou le co-développement, en ce qui concerne l’économie.
2) Maîtriser et commencer à dépasse les délégations représentatives du libéralisme dans le monde
A. Activités parentales et services publics les prolongeant
Dans les services publics, on instituerait des pouvoirs de participation et de coopération créatrice des
usagers, directs et indirects comme les parents, avec tous les personnels. Cela peut concerner d’abord les services publics classiques comme ceux de santé ou d’éducation.
Ainsi, pour la santé, les malades à l’hôpital, au lieu d’être traités comme des objets passifs, devraient
pouvoir, bien au- delà des avancées récentes sur les droits d’information, participer de façon créatrice à leur propre traitement personnalisé. Ils s’appuieraient sur l’aide d’associations, de
formations, de sites d’information et de débat.
Cela concernerait également des services publics nouveaux à créer, comme pour la petite enfance ou encore pour
les personnes âgées.
B. Nouveaux pouvoirs, des activités de travail aux institutions politiques et aux biens publics communs de
l’humanité
Des pouvoirs d’intervention dans les gestions des entreprises et des services publics, permettraient la
maîtrise des activités, non seulement de travail mais de toute la créativité par tous les individus concernés. Cela favoriserait leurs capacités de traiter les conditions et règles générales de
ces activités, définies au niveau politique. Cela pourrait se relier à des pouvoirs d’intervention de tous dans de nouvelles institutions politiques, de démocratie participative.
Le dépassement des délégations représentatives dans ces institutions consisterait dans une mixité, avec
délégation à des assemblées et aussi pouvoirs directs. Les assemblées seraient émancipées de la domination des pouvoirs gouvernementaux et des présidentialismes.
Les pouvoirs d’intervention directs seraient décentralisés localement, jusqu’à chacun, et concertés dans des
conseils de concertation. Ces concertations pourraient êtres organisés aux différents niveaux, depuis le plan micro- local jusqu’au plan mondial, en passant par le régional, le national,
l’international zonal et interzonal.
Une nouvelle gouvernance mondiale pourrait concerner, au- delà du Conseil économique et social de l’ONU
actuel, un Conseil de sécurité et de promotion économique, social, écologique et culturel. Avec une expansion démocratique des Agences de l’ONU, on développerait des Services et
Biens Publics mondiaux de l’humanité, pour l’économie, mais aussi au-delà comme pour la santé, l’éducation, la culture ou le désarmement et la paix.
C. Promouvoir une nouvelle culture de partage et d’intercréativité de toute l’humanité
1) Une culture d’intercréativité de tous les êtres humains
2) Une utilisation des technologies de l’information, et de l’internet pour une intercréativité émancipée de la domination des
grands groupes privés
3) Un nouvel humanisme et un nouvel œcuménisme contre tous les intégrismes
4) Un dépassement des cultures occidentales, orientales et du Sud, pour une culture de toute
l’humanité
Une civilisation véritablement mondiale de toute l’humanité pourrait viser à dépasser les apports de libertés de
l’Occident, mais sans l’égoïsme et les monopoles, et les apports de solidarité de l’Orient et du Sud, mais sans les dominations hiérarchiques, pour l’épanouissement de chacun partout. A l’opposé
de l’hégémonie des Etats-Unis, l’Europe et donc la France pourraient jouer un rôle important pour ce dépassement. Cela se rapporterait à des valeurs de partages jusqu’à chacun. Partages des
ressources, des pouvoirs, des informations et des rôles, tout particulièrement des rôles de création, pour une civilisation d’intercréativité.