HOMMAGE
Je viens d’apprendre le décès de Jacqueline Krasucki, l’épouse d’Henri, et en guise d’hommage à sa compagne, je voudrais simplement rappeler ces années de combat qui vont des années 1975
à 1984, le soutien d’Henri dans les grandes luttes et de son épouse Jacqueline qui a vécu ces moments particuliers où son mari était sur la brèche, avec nous les métallos, à n’importe quel moment
du jour et de la nuit, pour aider aux combats de l’époque et d’une CGT qui luttait et se battait pour le devenir de l’industrie et contrait les abandons de Mitterrand dès 1982 à partir du plan de
rigueur et le lâchage de la sidérurgie.
Jacqueline est venue à l’hommage que nous avions rendu à Henri à l’institut d’histoire CGT de la Métallurgie et nous l’avons remercié d’avoir été si proche de nous les métallos dans ces
combats difficiles de cette époque.
Bernard LAMIRAND
Je remet en ligne ce texte fait en 2007 et qui rappelle ce combat mené dans une période difficile où la CGT était débout dans la tempête, se battait les yeux ouverts, comme disait
Henri.
LA LUTTE DES SIDERURGISTES en 1979/1980
30 ans après la grande lutte des sidérurgistes de Denain et de Longwy, que peut-on en dire aujourd’hui ?
D’abord un rappel historique pour les générations qui ont suivies celles qui ont combattu le plan Davignon, du nom du commissaire européen, vice-président de la commission européenne. (Son
passage dans cette institution fut marqué par l'élaboration d'un plan de grande envergure qui visait à remédier à la surproduction dans le domaine de l'acier selon les experts de la CECA,
Communauté Européenne du charbon et de l’acier).
Tel était le diagnostic des autorités européennes et des gouvernants dans les années 1975/1985.Cela ne se confirmera pas par la suite puisque la production d’acier augmentera de manière
significative au niveau mondial.
Ce plan prévoyait, entre autres, le contingentement des livraisons d'acier, la fixation de prix minima, l'instauration d'un système de licences d'importation et enfin la restructuration des
sidérurgies nationales afin de réduire la capacité de production communautaire.
L’article 58 de la CECA, permettait de déclencher l’état de crise manifeste et de prendre ces mesures.
Seront touchés particulièrement en 1979 : la Lorraine, le Denaisis, le Pays de Galles et la Wallonie en Belgique : des régions où l’acier, le minerai de fer et le charbon étaient
implantés depuis le début de l’ère industrielle et avaient fait la richesse de ces régions.
Usinor Denain et Usinor Longwy furent les principales unités de productions touchées en France.
Dans cette intervention, je m’attacherai surtout à montrer que ce plan acier visait seulement à redresser le taux de profit des maitres des forges, par la réduction des moyens de production, en
rendant l’acier plus rare donc plus cher.
Mittal, aujourd’hui, qui s’est assuré la maitrise de l’acier européen, ne fait que reproduire les mesures prises à ce moment là.
Ce plan, disait Etienne Davignon, ainsi que le premier ministre français de l’époque Raymond Barre, permettrait de protéger la filière acier et lui assurer un devenir européen.
Les populations de la lorraine et du Nord ont malheureusement pu apprécier par la suite la nocivité de ce plan.
Leurs régions furent dévastées au point qu’aujourd’hui encore le chômage bat des records.
La reconversion ne fut qu’une illusion et un artifice.
Des milliers d’hommes et de femmes durent quitter leur lieu de vie pour aller travailler dans d’autres usines, qui, à leur tour, furent fermées dans les années 84/90.
Il y a donc trente ans, à Denain et à Longwy et dans d’autres usines en Lorraine et dans le Valenciennois, les sidérurgistes s’opposèrent à ce plan acier. Ils reçurent la solidarité de toute la
France.
A l’annonce de la fermeture de Denain et de Longwy d’énormes manifestations se produisirent.
Des émeutes éclatèrent à Denain et à Longwy face aux forces de répression amenées par le gouvernement Barre pour mater les sidérurgistes.
Pendant le premier semestre de 1979, tous les jours, les sidérurgistes organisèrent des actions allant de l’occupation de gares, de centres d’impôts, de chambres patronales, du consulat
d’Allemagne, les autoroutes furent à maintes reprises bloquées de même que le périphérique parisien et l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle.
De révoltes eurent lieu à Denain quand des sidérurgistes furent matraqués par des gardes mobiles, la ville fut l’objet d’une bataille rangée qui dura toute la journée du 8 mars 1979.
De nombreux blessés de part et d’autres furent comptés.
Même chose à Longwy ou toute la population pris fait et cause pour défendre autant le minerai lorrain que les installations de Longwy.
La France entière soutenait les sidérurgistes à tel point que le gouvernement fomenta des provocations lors de la manifestation du 23 mars 1979 à Paris avec l’attaque de grands magasins par des
autonomes dont certains étaient manipulés par le gouvernement de l’époque.
Des manifestations énormes eurent lieu à Longwy, Metz, Saint-Etienne, Valenciennes et Denain.
La marche sur Paris, le 23 mars 1979, amena plusieurs centaines de milliers de personnes de la République à l’Opéra. Toutes les professions apportèrent leur soutien aux sidérurgistes.
Ce fut la plus grande manifestation depuis 1968.
Il fallu attendre 1995 pour retrouver pareille mobilisation.
Ce défilé du 23 mars 1979 obligea incontestablement le gouvernement à engager des négociations avec les fédérations syndicales de la métallurgie qui restèrent unies durant cette première partie
du combat.
Les maitres des forges, Usinor et Sacilor durent accepter de négocier, les deux grandes entreprises étant récupérées par l’état par une prise de participation majoritaire.
Vers le mois d’Avril, les négociations avancèrent, ces négociations se déroulèrent au siège de l’Union des industries métallurgiques et minières sous la coupe du ministère de l’industrie qui
agissait en sous-main.
Plusieurs rencontres eurent lieu avec les ministres Boulin pour le travail et Giraud pour l’industrie.
La pression était forte, mais celle de la CECA aussi avec Davignon, qui exigeait la fermeture de Denain et de Longwy.
Les attaques se firent violentes contre ces sidérurgistes accusés d’archaïsme avec leurs installations qualifiées de canards boiteux de la sidérurgie. Radio-Quinquin pour le Nord et Radio
Lorraine Cœur d’acier, radios de lutte de la CGT ont été le moyen de communication et d’information pour contredire l’idéologie patronale et gouvernementale.
Elles furent l’objet d’attaques et de destruction de la part du pouvoir à plusieurs reprises.
Le gouvernement, devant la ténacité des grévistes qui bloquaient les routes, les voies ferrées, qui avaient le concours et la solidarité de la France entière, dut se résoudre à lâcher du lest.
Il mit en place le plus grand plan, dit social, appelé « convention générale de protection sociale », pour affaiblir la combativité des sidérurgistes.
Après pas mal de pérégrinations, la chambre patronale de la sidérurgie accepta des départs en retraite dès 50 ans à partir d’une convention générale de protection sociale.
C’était une revendication des sidérurgistes et de la CGT durant de nombreuses années et qui n’avait jamais pu être satisfaite, mais c’était le seul moyen pour en finir avec
cette lutte massive.
Les patrons comptaient sur le ralliement de certaines organisations syndicales réformistes, ils eurent satisfaction.
Cette convention stipula également la fermeture d’installations et des mutations sur les autres entreprises sidérurgiques.
Pour les salariés ne pouvant partir de leur région, la reconversion leur fut proposée avec des stages et création d’entreprises.
50000 salariés au moins, quittèrent ainsi la sidérurgie et les sous-traitants et filiales entre 1979 et 1984, date d’un nouveau plan, qui donna le coup de grâce à Longwy, le Valenciennois et la
Loire.
Les capacités de production furent réduites de plus de 5 millions de tonnes d’acier annuels.
100 milliard de francs furent consacrés à cette première grande casse industrielle de notre pays.
Les maitres de forges s’en tirèrent à bon compte : leur capital fut racheté par l’état dans de très bonnes conditions, et certains, qui étaient prés du dépôt de bilan, placèrent cette manne
inespérée dans des activités plus fructueuses et surtout financières à l’exemple de la famille De-Wendel Seillière.
Ils sont aujourd’hui à la tête de grandes institutions financières.
Cette lutte aurait pu aller plus loin si toutes les organisations syndicales étaient restées unies.
Ce ne fut pas le cas, un front commun s’établit pour accepter ce qui fut un abandon national, la CFDT, FO, CGC, CFTC, rendirent les armes en signant le protocole d’accord le 8 juillet 1979.
La CGT, quant à elle, a continué la lutte pour des retraites anticipées mais avec le maintien et la modernisation des installations menacées.
Elle fut la seule organisation à proposer un véritable plan acier qui recueilli un avis favorable du conseil économique et social.
La fédération de Métaux fit un mémorandum qui produisit un grand bruit à l’époque.
L’abandon de la lutte, la désunion syndicale qui s’en suivit fut préjudiciable et une certaine fatalité s’exerça face à la démission de ces organisations syndicales.
Ce fut un grand moment de désespoir dans les bassins sidérurgiques concernés.
Ceux qui partaient en retraite poussaient bien sûr un ouf de soulagement mais aucun d’entre eux partirent de gaieté de cœur en voyant leurs compagnons plus jeunes être mutés à
Dunkerque ou à Fos sur Mer, ou encore à Montataire.
La CGT poursuivit la bataille toute seule, mais les départs ruinèrent toutes tentatives de poursuivre la lutte au même niveau de combativité. Un référendum avec un numéro spécial de la vie
ouvrière métaux pour ou contre ce plan social fut soumis à l’ensemble des sidérurgistes : plus de 80 % ont voté la poursuite de la lutte.
Pendant tout le reste de l’année, des actions eurent lieu, mais le rapport des forces était inversé : les sidérurgistes n’y croyaient plus.
En lorraine, plus tard, Jacques Chérèque, secrétaire général de la FGMM CFDT fut chargé de mission en tant que préfet à la reconversion : ce fut un échec.
Ce plan social fit ensuite des émules dans d’autres professions.
Les sidérurgistes continuèrent à lutter et l’arrivée de la gauche en 1981 suscita un immense espoir : les nationalisations d’Usinor et de Sacilor firent effet mais cela ne dura guère,
Miterrand et Mauroy, qui avaient soutenus les sidérurgistes de Denain et de Longwy abandonnèrent vite l’idée de sauver ces deux entreprises.
En 1984, un second plan acier toucha d’autres usines.
L’acier français coulait des jours mauvais, en 1986 sous le gouvernement Chirac, une nouvelle restructuration eut lieu, les 2 groupes furent réunis en un seul, des capacités de production furent
abandonnées dans le domaine des produits longs notamment à Gandrange, Longwy.
L’acier français ne coulait plus alors qu’à Dunkerque, Fos et Florange et dans des aciéries électriques.
Des aciéries électriques étaient supprimées notamment dans la Loire.
Le site de Mondeville était abandonné.
Creusot Loire au Creusot démantibulé.
Le patronat n’avait plus qu’à reprendre une sidérurgie très rentable, ce qu’il fit, pour ensuite le confier à Mittal, un aventurier hindou qui n’avait plus qu’à ramasser les bénéfices.
Mais là je m’éloigne un peu, je laisse le soin aux camarades qui militent de faire le procès de ce nouveau maitre des forges.
Un dernier mot cependant, en 1979, le gouvernement et la communauté européenne jurait leurs grands dieux que leur seul souci était de maintenir une sidérurgie européenne.
Le traité de la CECA en 1951, signé par Robert Shuman et Jean Monnet indiquait que l’avenir était à une sidérurgie unie en Europe.
Qu’en reste-t-il ?
Mittal domine ce qu’il reste et les milliards de profits réalisés prennent le chemin du porte feuille de cette nouvelle famille de capitalistes qui ont cannibalisés l’acier français et européen.
Heureusement, les sidérurgistes ne se laissent pas faire et les actions actuelles démontrent que de générations en générations les sidérurgistes luttent.
Bernard LAMIRAND
Ancien secrétaire de la FTM CGT