RETRAITES ET SECURITE SOCIALE
Publié le 13 Janvier 2010
Conférence de Jean MAGNIADAS
tenue
Au syndicat des retraités de la métallurgie de Paris le 15 décembre 2009
La Sécurité Sociale est publiquement, aujourd'hui, remise en cause dans son principe même, y compris par le MEDEF et la droite. Celle-ci ne dissimule plus cet objectif. L’éditorial rédigé par Denis Kessler[1] est des plus explicites. Il déclare : «.. . Le modèle social français est le pur produit du Conseil National de la Résistance […] il est grand temps de le reformer et le gouvernement s’y emploie ». L’opération est qualifiée de Plan B de Sarkozy.
Pour saisir pleinement les enjeux, il faut comprendre l'importance que la Sécurité Sociale occupe dans la vie des salariés et des retraités. Il est compréhensible que le besoin de protection sociale s’exprime avec force aux lendemains de la seconde guerre mondiale. L’aspiration dès peuples à un ordre social de paix et de progrès social se manifeste, avec force, à la conférence de l’organisation internationale du travail qui se tient à Philadelphie en 1944. Elle ne concerne donc pas que notre seul pays. Mais, elle y est présente avec force comme une idée de progrès social associée à la Libération, à la Résistance.
Cette importance de l’aspiration à la protection sociale n'est pas pleinement saisissable sans un retour en arrière. Il faut rappeler la situation antérieure à sa création. Il y a cette année cinquante-quatre ans, bientôt 55, que le plan français de Sécurité Sociale est entré en vigueur. Le temps qui passe génère de l’oubli. Ce n'est qu’une petite fraction de la population française vivante aujourd'hui qui a connu la situation de l'époque où la Sécurité Sociale n'existait pas. Elle était celle du régime des assurances sociales, mis en vigueur dans l'entre-deux-guerres mondial.
On ne peut apprécier la place de la Sécurité Sociale dans la société en ignorant sa genèse et son histoire. Je voudrais en rappeler quelques moments marquants.
Il faut comprendre que la Sécurité Sociale s'enracine dans les besoins sociaux des hommes et des femmes et, pour ce qui nous occupe aujourd'hui, des salariés, des anciens salariés et de leurs familles. Ce besoin de se couvrir contre les risques de maladie, de chômage, de s'assurer des ressources pour les salariés auxquels leur âge ne permet plus de travailler apparaît très tôt. On le voit dans la nature des premières organisations que se donnent les salariés. Ce sont des associations de prévoyance, des mutuelles, donc des organismes de solidarité pour faire face à certains risques de la vie ouvrière avant même de prendre la forme du syndicat de lutte pour les revendications. C’est la période historique des mutualités ouvrières, ancêtres du syndicat. Longtemps ce seront les familles qui devront prendre en charge, en tout ou partie, ces risques avec parfois l'intervention d'organismes de charité. Le plus souvent de caractère religieux.
Le développement du capitalisme et celui, consécutif, du salariat va conduire à rechercher d'autres réponses.
Elles seront trouvées, très partiellement, dans les grandes entreprises, notamment au travers des œuvres sociales patronales par la création de mutuelles, de caisses de retraite, etc. Elles prendront également la forme de régimes particuliers, essentiellement dans les secteurs les plus concentrés, par exemple les mines et les chemins de fer. Ce sera souvent la base initiale des régimes particuliers qui seront créés dans certains secteurs. Le patronat leur assigne une double fonction :
1. l’intégration idéologique des salariés (paternalisme social)
2. la fixation de la main-d’œuvre.
Mais le patronat manifeste une opposition constante à la création de régimes obligatoires qui saperaient les bases du paternalisme social et de l’autorité patronale dans l’entreprise. Ces résistances expliquent que la législation obligatoire sur les accidents du travail interviendra dix-huit ans après le dépôt de la première proposition de loi. S’agissant des retraites ouvrières et paysannes obligatoires, le délai entre le dépôt de la loi et le vote sera de vingt ans. (…) Le contenu de ces dispositifs est très insuffisant pour répondre aux besoins des salariés et même pour résoudre les dysfonctionnements, objet dès préoccupations patronales.
· Ce qui nous conduit à la naissance des assurances sociales.
Ces préoccupations ne sont pas exclusivement françaises. La plupart des grands pays capitalistes développés, mais les uns après les autres, vont créer des systèmes plus ou moins cohérents d’assurances sociales obligatoires, souvent avant la France. Le plus ancien est le système bismarckien mis en vigueur en Allemagne pour tenter d’endiguer la poussée socialiste et répondre au besoin de main-d’œuvre consécutif à la rapide industrialisation de ce pays.
Ce sont, en France, les difficultés de reproduction de la force de travail - notamment la faiblesse de la natalité encore accrue par les pertes de la guerre de 1914/18 - qui mettent à l’ordre du jour cette question. On parle à l'époque (Pierre Laroque) d'une « crise de main-d'œuvre » ce qui conduit d'ailleurs à faire appel à l'immigration. Dans les préoccupations démographiques qui s'expriment à cette époque, on ne doit pas perdre de vue les objectifs militaires.
La volonté de la bourgeoisie de limiter au maximum les lois sociales apparaît bien à travers les longs délais entre le moment où le parlement est saisi de projets de lois, souvent par des députés socialistes, et le moment où elles sont votées. Les parlementaires appartenant à la droite y pratiquent souvent une obstruction systématique.
Après des années de tergiversations, va être enfin votée en 1930, la loi créant les assurances sociales. Ses dispositions sont marquées par la volonté patronale du moindre « coût ». L'obligation ne concerne qu'une partie de la population et les prestations sont relativement limitées et inégales. Sa gestion sera, en fait, dévolue aux associations catholiques et à la Mutualité dominée par la bourgeoisie.
Pour être plus ancien, le régime de retraite n'est guère plus satisfaisant. Si on enregistre une première proposition de loi qui remonte au début de la troisième république, c'est seulement le 5 avril 1910 que seront votées les retraites ouvrières et paysannes. La loi prévoit une obligation d'affiliation pour les salariés, mais restrictive et concerne ceux dont la rémunération annuelle ne dépasse pas un plafond de 3000 FF et une faculté d'assujettissement pour ceux qui dépassent ce niveau de rémunérations et s’établit entre 3 et 5000 FF. La cotisation ouvrière est retenue par l'employeur. Le régime est basé sur la capitalisation. Il faut avoir trente versements annuels de cotisations pour bénéficier d'une retraite. Ce système provoquera l'opposition de la fraction des députés socialistes et de la CGT qui revendiquait un système général de retraite financé par l'Etat. On en est loin avec les retraites ouvrières et paysannes que la CGT qualifiera, à l’époque, de « retraite pour les morts ». Ce refus non pas d’un système de retraite mais de celui-là entretiendra une certaine propagande accusant la CGT de refuser la création d’un régime de retraites.
Le rôle du Conseil National de la Résistance
L'idée d’un plan français de Sécurité Sociale était explicitement contenue dans le programme Conseil national de la résistance. Simultanément, il énonçait la proposition d'établir : « la sécurité de l'emploi, la réglementation des conditions d'embauche et des licenciements et le rétablissement des délégués d'ateliers… » Le CNR demandait également : « des retraites permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours... ». Cet ensemble de propositions permet de créditer les auteurs du programme d'une évidente compréhension des risques sociaux et de leur interdépendance.
Ces mesures étaient inscrites comme devant être mis en oeuvre à la Libération. Toutes ne le seront pas. Pourtant, le contexte politique est favorable, mais il ne faut pas croire que la réalisation de l’objectif Sécurité Sociale ne va pas rencontrer des oppositions, des résistances, des heurts entre des conceptions, y compris entre les forces sociales et politiques issues de la Résistance. Le patronat doit quelque peu dissimuler son opposition étant donné le discrédit que lui vaut son attitude pendant l'occupation. Cela ne l’a pas empêché de tenter de jouer sur les divergences entre les forces politiques et dans l'entourage de De Gaulle. Ces affrontements vont se dérouler au sein même des Assemblées, c'est à dire de la Consultative et de la Constituante.
Mais, il y a dans ces Assemblées un grand nombre de résistants et l’idée de Sécurité Sociale rencontre l’appui d’une grande masse de Français. Il faut souligner le rôle important que vont jouer dans ces affrontements Ambroise Croizat, Président de Commission du Travail de l’Assemblée Consultative, avant de devenir Ministre du Travail, ainsi que celui quelque peu oublié de Georges Buisson, Secrétaire de la CGT, personnalité SFIO, Résistant. Il siège à la Consultative et sera rapporteur des textes concernant la Sécurité Sociale. Le texte final portant sur l’ensemble du projet sera voté à la quasi unanimité, mais il y aura 84 abstentions, pour la plupart venant du MRP, de quelques radicaux et de la CFTC. Une seule voix contre celle du très réactionnaire Joseph Denais (PRL). Il en sera de même dans les deux Assemblées Constituantes où l’on verra même, à la première Constituante, le MRP maintenir une opposition allant jusqu’à proposer de reporter la mise en application.
Les affrontements portent sur des principes essentiels, à savoir :
- Le principe de solidarité qui s’oppose au principe assurantiel.
- Les principes d’universalité et d’unité
- Un financement lié à l’entreprise
- Un mode de gestion démocratique.
Avec le plan français de Sécurité Sociale, la France va être dotée d’un régime de protection sociale de haut niveau. Il se distingue des deux grands modèles existants dans le monde : le système bismarckien (il ne couvre pas tous les salariés) et le système Beveridge (étatiste).
la sécurité sociale : un compromis très positif, UNE authentique novation
La Sécurité Sociale est un compromis très positif. S’il ne correspond pas complètement aux vues de la CGT et du PCF, il en reprend les propositions les plus essentielles. Il faut, aussi, tenir compte de l’état économique de la France aux lendemains de la seconde guerre mondiale, qui apportait certaines limitations au changement social. Il était, dès lors, essentiel que, en même temps qu’étaient promulguées des mesures novatrices, il soit créé un cadre nouveau permettant d’en développer la dynamique. C’est un compromis positif, mais également un système inachevé.
On ne saurait partager l’idée parfois avancée que la Sécurité Sociale représenterait seulement la continuité des systèmes antérieurs. Il est évident qu’elle ne pouvait s’établir sans tenir compte de l’existant, mais elle l’a profondément bouleversé. Elle constitue une authentique novation, même si celle-ci va demander du temps et d’autres combats (généralisation à l’ensemble de la population, création de l’assurance-chômage, améliorations du régime de retraite, etc.).
Un aspect positif de l’existence de systèmes de protection sociale obligatoires est incontestablement le soutien qu’ils apportent à la stabilité et à l‘essor de l’économie. (…) Dans la crise systémique actuelle, bien des analystes ont dû reconnaître que la Sécurité Sociale avait joué un rôle stabilisateur. (…)
suite