LES JEUX POLITICIENS

Publié le 10 Janvier 2011

C'ETAIT HIER ET POURTANT …

Le 18 brumaire de L. Bonaparte   extraits

Karl Marx

La période que nous avons devant nous est le mélange le plus varié de contradictions criantes : des constitutionnels qui conspirent ouvertement contre la Constitution ; des révolutionnaires qui se déclarent constitutionnels ; une Assemblée nationale qui veut être toute-puissante et reste constamment parlementaire ; une Montagne qui fait de la patience une profession et se console de ses défaites présentes en prophétisant sa victoire future, des royalistes qui sont les patres conscripti ] de la République et sont contraints par les circonstances de maintenir à l'étranger les maisons royales ennemies dont ils sont les partisans, et de conserver en France la République qu'ils haïssent ; un pouvoir exécutif qui puise sa force dans sa faiblesse même et sa respectabilité dans le mépris qu'il inspire ; une République qui n'est autre chose que l'infamie combinée de deux monarchies : la Restauration et la monarchie de Juillet, avec une étiquette impérialiste ; des alliances dont la première clause est la séparation ; des batailles dont la première loi est l'indécision. Au nom de l'ordre, une agitation sauvage et sans objet ; au nom de la révolution, le prêche le plus solennel en faveur de l'ordre. Passions sans vérité, vérités sans passion ; héros sans héroïsme, histoire sans événements ; développement dont la seule force motrice semble être le calendrier, fatigant par la répétition constante des mêmes tensions et des mêmes détentes ; antagonismes qui ne semblent s'aiguiser périodiquement d'eux-mêmes que pour pouvoir s'émousser et s'écrouler sans se résoudre ; efforts prétentieusement étalés et craintes bourgeoises devant le danger de la fin de monde, et, en même temps, de la part des sauveurs du monde, les intrigues et les comédies de cours les plus mesquines dont le laisser-aller rappelle moins l'époque actuelle que les temps de la Fronde ; tout le génie officiel de la France condamné au néant par l'imbécillité astucieuse d'un seul individu, la volonté de la nation, chaque fois qu'elle se manifeste dans le suffrage universel, cherchant son expression adéquate chez les ennemis invétérés des intérêts des masses, jusqu'à ce qu'elle la trouve enfin dans la volonté obstinée d'un flibustier. Si jamais période historique fut peinte en grisaille, c'est bien celle-ci. Hommes et événements paraissent comme des Schlemihl ] à rebours, comme des ombres qui ont perdu leur corps. La Révolution elle-même paralyse ses propres défenseurs et ne pourvoit que ses adversaires de véhémence et de passion. Lorsque le «spectre rouge», continuellement évoqué et conjuré par les contre-révolutionnaires, apparaît enfin, il n'apparaît pas coiffé du bonnet phrygien anarchiste, mais dans l'uniforme de l'ordre, en pantalon rouge.

Rédigé par aragon 43

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