La situation de la Gauche en France

Publié le 21 Mars 2010

divers_005.gifJe met ce jour, en ligne, une intéressante analyse de mon camarade Nicolas Marchand
sur la situation de la gauche en France qu'il a faite dernièrement.  B.Lamirand

 

Nicolas MARCHAND, membre du Conseil National du PCF , lors d'un déplacement l à Cuba.

Je veux tout d´abord  vous remercier de votre invitation pour cet échange sur la situation de la gauche en France. Je vais donner quelques éléments sur le sujet en introduction afin que nous puissions avoir un échange à partir des questions que vous mêmes vous vous posez. Je vous demande de recevoir ce que je vais vous dire, particulièrement à propos de la situation du Parti Communiste, comme un point de vue personnel .

La gauche française est très divisée, et en difficulté pour offrir une alternative transformatrice au pouvoir de droite de Sarkozy, qui est le plus réactionnaire depuis longtemps. 

La question de la gauche, c´est une double-question, dont les deux termes sont inséparables: son union et le contenu de cette union; car il doit s'agir d'une union à la hauteur des attentes populaires, et pour cela, à la hauteur du défi de la crise.

Avec  la crise du système capitaliste, dont la crise financière et la récession de 2008-2009 ont révélé la profondeur, la gravité sans précédent, la gauche est face à un défi, qui n'est d'ailleurs pas seulement français ou européen, mais mondial - celui  des transformations radicales que cette crise appelle, celui des luttes et du rassemblement populaire pour imposer de telles transformations.

C´est ce défi révolutionnaire, celui d´un dépassement[1] effectif du capitalisme, que la crise met à l'ordre du jour, en France, en Europe et dans le monde.

Cela concerne particulièrement 3 grands enjeux:

L´enjeu des moyens financiers, du crédit et de la monnaie qu'il s´agit de mettre au service du progrès humain ce qui implique un crédit, une monnaie – jusqu'à une monnaie commune mondiale - émancipés de la domination des marchés financiers et du dollar

L´enjeu des pouvoirs d'intervention des salariés et des peuples, pouvoir politique, mais aussi pouvoir économique sur la gestion des entreprises et des groupes.

L´enjeu d´une expansion massive des services publics , jusqu'à l´objectif d´une appropriation sociale des biens communs de l´humanité, incluant aussi le crédit et la monnaie.

La gauche française est loin d´être à la hauteur de tels enjeux de transformation.

C´est au sein du PCF que les idées sont les plus avancées, les plus précises pour définir les axes d´une politique transformatrice, mais cela ne va pas sans problèmes, sur lesquels je reviendrai.

Le principal problème à gauche vient du Parti Socialiste: celui ci est depuis le début des années 80 le  parti le plus influent à gauche. Il est dominé, au niveau de ses dirigeants, par les conceptions sociales libérales. La nomination d´un des principaux d'entre eux, Dominique Strauss Kahn,  à la tète du FMI en est un symbole assez significatif.

Le Parti Socialiste  combat  durement la droite en paroles et apparait avec l´aide des médias dominants comme le principal opposant.  Classiquement il gauchit son discours quand il est dans l'opposition. Mais il y a en réalité un consensus de fond droite-Parti Socialiste-patronat  sur les questions les plus cruciales, au niveau français comme au niveau européen: pas question de toucher aux critères et aux règles du système concernant les entreprises, l´argent et son utilisation, les pouvoirs.

C'est le terrain sur lequel peuvent agir les éléments qui préconisent une jonction stratégique du PS avec le centre-droit, ou un rassemblement anti-Sarkozy qui irait de l´extrême gauche au centre.

Une telle union se ferait forcement sur des bases de conciliation avec le capital et la domination des marchés, ne pouvant donc répondre aux attentes populaires.

Dans la même perspective, s´inscrit la structuration récente des éléments de gauche et de droite se réclamant de l´écologie dans une formation électorale commune (Europe Ecologie) qui a recueilli un certain succès aux récentes élections européennes, et qui s´est reconstituée pour les élections régionales.

Tous ces processus visent un objectif stratégique, que les forces du capital françaises poursuivent depuis longtemps – instaurer un système politique bipolarisé, conçu pour rendre impossible tout  changement radical, sur le modèle du système américain (avec une alternance entre démocrates et républicains sans changement fondamental). Il s´agit d´en finir avec ce qu'on a pu appeler "l'exception française": une certaine tradition révolutionnaire, une combativité sociale et politique particulière qui a permis des conquêtes sociales et démocratique importantes et qui peut faire de la France dans certaines circonstances un maillon faible du camp capitaliste.

Dans ce tableau, il faudrait aussi consacrer un développement aux enjeux très importants concernant le mouvement syndical; celui-ci est l´objet et le terrain d´importants efforts d'intégration, de la part du patronat, de la droite et des sociaux libéraux, visant notamment sa branche la plus combative, la CGT. Mais apparaissent aussi les signes d´une nouvelle implication de syndicalistes dans  le combat politique.

Toutes les transformations de notre système institutionnel, depuis l´instauration très négative de l'élection du président de la République au suffrage universel[2], ont été conçues dans le sens d'une américanisation de notre système politique. La décision du Parti Socialiste d'instaurer un système de "primaires" prétendant désigner le candidat de gauche à la présidentielle vise les mêmes objectifs. Cela vise à empêcher la possibilité d'une candidature communiste, la possibilité de présenter un programme de transformation radicale. Tout cela nous pose des problèmes difficiles.

Je reviens au Parti Socialiste, pour préciser un point important

S'il y a une dominante sociale libérale très nette au sein de sa direction, le PS  n´est pas un bloc monolithique. Il influence son électorat, mais il est aussi sensible a ce qui se passe dans la société, chez ses électeurs. Des forces en son sein résistent aux processus que j ai évoqué et aux prises de positions les plus droitières.

Une partie, très minoritaire, de cette aile gauche du PS l´a quitté récemment pour constituer le Parti de Gauche avec Jean-Luc Mélenchon, je vais y revenir.

Il faut avoir en vue aussi, c est le principal, l´électorat socialiste, un électorat principalement salarié, populaire, majoritairement ancré a gauche.  Aucun rassemblement majoritaire n'est concevable sans cette force.

Il est donc indispensable de garder le contact avec cet électorat, qui peut se diviser vis a vis des prises de position du Parti Socialiste, comme on l'a vu lors du référendum sur le traité constitutionnel européen en 2005.  Il faut mener la lutte pour faire prévaloir  des idées transformatrices et faire reculer les idées sociales libérales. Cela suppose de ne pas rejeter sommairement le PS à droite, comme le font l'extrême-gauche, et aussi ceux qui, au sein du PCF, combattent toute politique unitaire.

Cela renvoie à la situation à gauche du Parti Socialiste, et particulièrement à celle du PCF, à sa capacité d'action et d'initiative pour faire grandir les idées pouvant constituer le socle d'un rassemblement populaire transformateur.

Quelques mots d´abord sur l´extrême gauche

Elle est constituée principalement de deux petits partis trotskistes, Lutte Ouvrière (LO) et le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA), dont le dirigeant le plus connu est Olivier Besancenot.

LO est en recul et se mêle peu du débat stratégique à gauche, rejetant toute union politique.

Le NPA se dit ouvert à des alliances, à condition qu'elles excluent toute perspective de gestion des institutions avec le PS.

Coté programme, les deux formations affichent un anticapitalisme verbalement radical mais sommaire, opposant radicalité et réalisme, refusant l´exigence de promouvoir des propositions incluant les moyens précis, financiers notamment, de leur réalisation, exigence qu'elles dénoncent comme réformiste.

Ces partis ont acquis une influence significative, particulièrement avec le système hyper-personnalisé de l'élection présidentielle, avec un puissant appui médiatique visant la captation de voix de gauche, surtout des voix du PCF pour l'affaiblir.

Il faut ajouter  qu'ils  ont aussi bénéficié des défaillances politiques du PCF, des électeurs communistes lui reprochant un manque de combattivité et un trop grand suivisme du PS.

Mais une partie de cet électorat est disponible, à l´opposé du sectarisme des partis d´extrême gauche, pour une construction majoritaire réellement transformatrice.

Le départ récent du NPA d´une petite fraction favorable à un rassemblement de gauche, et les difficultés des dirigeants du NPA sur la question des alliances aux élections régionales confirment cela.

J'ai évoqué le Parti de Gauche (PG). J'y reviens en quelques mots.

Ce parti a été créé avec un objectif, affiché par Jean Luc Mélenchon, d'ailleurs bien avant qu'il quitte le PS: créer un parti fusionnant toutes les forces à gauche du PS, sur le modèle de Die Linke en Allemagne.

Mélenchon, tout en affirmant prendre acte pour l'instant du refus des communistes de se dissoudre, maintient son objectif, qui est clairement articulé à celui d´être le candidat de toute la gauche non socialiste à la prochaine élection présidentielle qui aura lieu en 2012.

Il participe au Front de gauche pour les élections régionales avec ce but.

Coté programme, le Parti de Gauche affiche un discours critique du libéralisme mais des propositions limitées et vagues  en regard des transformations précises nécessaires, particulièrement sur les questions concernant les moyens financiers, et la réorientation des gestions des entreprises.  Le modèle de Mélenchon, le leader de Die Linke, Oscar Lafontaine avait caractérisé son objectif comme celui d´un retour  à la sociale-démocratie classique du SPD. C´est dans ce créneau qu'on peut situer le Parti de Gauche.

J'en viens au Parti Communiste.

Sa situation est difficile et incertaine. Il est affaibli et divisé. Il reste néanmoins de très loin par le nombre de ses adhérents et de ses élus, par ses résultats électoraux, hormis l´élection présidentielle,  le principal parti à gauche du PS.

Ces dernières années, l'existence du PCF comme force politique autonome a été mise en question au sein du Parti, y compris au sein de la direction du Parti.  Une partie importante de la direction avait fait sienne l'idée d´aller vers la création d'une « nouvelle force politique », sur le modèle de Die Linke en Allemagne et avait commencé à travailler dans la perspective d'une fusion au sein d'un nouveau parti d'éléments issus du PCF, du PS, des écologistes et de l'extrême gauche.  La référence au communisme, et au marxisme était remise en cause au nom d'une vision de l'histoire dominée par l'échec soviétique, et considérée comme une croix à porter; et aussi au nom d'une conception de la transformation limitée à un processus, au détriment de la visée d'une rupture par un dépassement du capitalisme.

Il y a deux ans, le calendrier de ce processus, qui visait une dilution du Parti communiste dans une autre sorte de parti était fixé, avec la programmation de deux Congrès successifs, le 2eme devant être le Congrès fondateur de la « nouvelle force ». Nous avons été quelques uns au sein de la direction à nous y opposer et à alerter les communistes, à mettre en avant, contre les idées de capitulation, le besoin de changement, de novation sur des bases révolutionnaires. Surtout, les communistes, appelés à donner leur avis dans leurs réunions de base, ont exprimé massivement leur refus de ce projet. Et aussi, la crise du système capitaliste, que les économistes communistes en France, avec Paul Boccara,  avaient pronostiquée,  est intervenue comme une gifle de la réalité aux adeptes de la thèse d'une "crise du communisme".

Le 34eme Congrès de décembre 2009, au lieu d'être le congrès de la dissolution, a décidé de continuer le Parti communiste français, en le transformant. Il a décidé de préserver son autonomie de pensée et d'action, considérée comme indispensable pour construire un rassemblement solide.

Cela a ouvert une phase nouvelle, qui va rester une phase de débats et de luttes, où vont continuer de s'exprimer des conceptions contradictoires du devenir du parti et de sa politique, comme cela se voit déjà dans le contexte des élections régionales actuelles.

La décision dominante a été d´expérimenter un rassemblement de forces politiques et du mouvement social,  dans un front distinct du PS, baptisé Front de Gauche. Le PCF joue un rôle moteur dans ce front,  tout en laissant une place importante à ses autres composantes, au risque de limiter la pertinence des propositions mises en avant et de minorer une juste représentation communiste. C'est une rude bataille, d'autant qu'il faut faire face aussi à la censure médiatique. Il faudra faire un bilan, sur les résultats électoraux, et sur l'impact de cette stratégie pour le PCF, l'avancée de ses idées et de son influence.  

La nouveauté, positive à mon sens, est que, contrairement à la ligne dominante toutes ces dernières années, la majorité des communistes a préféré se dégager de l'hégémonie du PS. On doit être lucide cependant sur les projets persistants du coté de Mélenchon, mais aussi au sein du parti, de faire du front de gauche un parti au sein duquel le PCF se diluerait. Il y a aussi la tendance persistante à faire prédominer la recherche d'alliances sur les exigences de contenu de haut niveau, sans lequel on irait à l'impasse et à de graves échecs.

Tous les problèmes qui nous sont posés sont loin d´être résolus par la décision du dernier congrès;  il y a besoin de changements importants du Parti. Il y a eu, sous la direction de Robert Hue et ensuite, des dérives idéologiques et politiques qui ont gravement affaibli le Parti, des décisions qui l´ont déstructuré, un recul de la démocratie.  Il faut construire, reconstruire, démocratiser profondément le fonctionnement. Il faut renouer avec le marxisme de façon créative, faire du neuf, « changer ce qui doit l'être » comme vous le dites pour vous-mêmes, pour être en pratique, dans notre époque, le parti révolutionnaire rassembleur que le parti communiste a vocation à être.

Tout cela est loin d´être joué.  Mais je pense, avec beaucoup d'autres camarades,  que cette nouvelle phase de bataille est très importante et peut être gagnée au sein du PCF. Il y a d'importants rendez-vous devant nous, de nouveaux Congrès, un changement de direction au plus haut niveau, l'élection présidentielle où il y aura besoin d'une candidature capable de porter le projet communiste.

De mon point de vue,  le redressement du PCF, avec les profondes novations nécessaires,  est la clé d'une issue à la crise actuelle de la gauche française;  de l'avancée d'un rassemblement populaire majoritaire capable de faire prévaloir les transformations radicales indispensables pour une politique de gauche.

Parce que le PCF est le seul parti qui dispose en son sein des éléments constitutifs d'un projet politique cohérent de transformation de la société, j'en ai évoqué au début quelques axes,  un projet à la hauteur pour


[1]    Par dépassement du capitalisme, on entend, dans le sens marxiste, son abolition pour faire mieux que ce système

[2]             Depuis 1965, le président de la république est élu au suffrage universel, avec un scrutin majoritaire à 2 tours; deux candidats seulement peuvent se maintenir au 2eme tour

Rédigé par aragon 43

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