ATTALI DIT SITUATION PREREVOLUTIONNAIRE ...

Publié le 17 Janvier 2010

images-copie-5.jpegJ'ai pensé intéressant de vous livrer cette réflexion et qui montre que le capitalisme n'a plus la réactivité nécessaire pour réagir comme par la passé à une crise systèmique GRAVE, sinon que de désarticuler au prix de risques immenses son existence et de rencontrer une situation pré-révolutionnaire comme le craint Attali.
Les craintes du capitalisme en crise SYSTEMIQUE se révèlent à la lecture de cet interview réalisé par Slate avec  deux experts du système.
Bernard LAMIRAND

 

Attali-Minc

 «La facture de la crise n'est pas payée»

Pour Jacques Attali et Alain Minc, l'économie mondiale est toujours en salle de réanimation. Le surendettement des Etats, la création monétaire, l'impunité des banquiers, les risques sur le dollar et l'euro menacent toujours le système capitaliste.

-Slate: La récession de 2009 ne semble finalement pas avoir été beaucoup plus douloureuse que celles du début des années 1990 et du début des années 2000. Est-ce que cette perception correspond à la réalité?

-Jacques Attali: Si on parle de la France, cette perception est juste, si on parle du reste du monde, c'est totalement faux. La récession en France est apparemment modérée même si elle s'est traduite par presque un million de chômeursde plus, ce n'est pas rien.

La vraie question est de savoir qui a payé pour que cette récession ne semble pas trop sévère. La récession a été faible mais le coût pour en limiter les effets est considérable: une augmentation massive du déficit budgétaire et de la dette publique. Et les banquiers osent dire qu'ils ont rien coûté à la collectivité parce qu'ils ont remboursé les prêts accordés par l'Etat. En réalité ils ont coûté à la France 500 000 chômeurs et un endettement considérable pour les futurs contribuables.

Deuxièmement, sur le plan mondial l'année 2009 est épouvantable. La perte de valeur des actifs est, selon les derniers calculs de la Deutsche Bank, de l'ordre de 30 000 milliards de dollars. L'argent que les gouvernements mondiaux ont mis sur la table, la France étant un de ceux qui en a mis le moins, est équivalent à cinquante plans Marshall.

La partie qui se joue aux Etats-Unis est cruciale. Les pouvoirs publics américains ont mis sur la table sous forme de garanties, de prêts et de déficit budgétaire 2 000 milliards de dollars. Contrairement à ce qu'on pense, ces 2 000 milliards de dollars ne sont pas beaucoup financés par les Chinois. Ils ont mis 200 millions et le reste du monde 100 millions. D'où viennent les 1 700 restant? De la planche à billet de la Réserve fédérale (Fed). Il y a une expression qui va faire florès: que va faire la Fed? Va-t-elle remettre plus de 1 000 milliards de dollars dans l'économie ou va-t-elle se lasser?

«Des économies fragiles et des sociétés solides»

-Alain Minc: La grande différence entre la récession de 2009 et les précédentes, c'est que les précédentes n'ont pas été accompagnées d'une hausse en moyenne de l'endettement des pays occidentaux de 20% du Pib (Produit intérieur brut). Cet endettement va peser sur la croissance des années à venir. Le prix de la crise est étalé dans le temps. On va passer d'une croissance de 5% à 6% par an mondialement à une croissance qui sera la moitié de cela. Il va manquer un des deux moteurs qui a fait fonctionner l'avion: le consommateur américain. Une croissance de 3% à 3,5% par an cela donne pour un vieux pays comme la France un horizon maximum de 2% au lieu de celui de 3% dont on rêvait.

La planche à billet a fonctionné aux Etats-Unis et en Angleterre. Elle n'a pas formellement fonctionné en Europe continentale puisque la banque centrale n'a pas le droit de financer les Etats. Cela dit quand elle finance avec un taux de 1% les banques commerciales, ces dernières financent les Etats.

Il va y avoir un moment extrêmement délicat quand la Fed et la Banque d'Angleterre vont essayer de retirer une partie de l'argent qu'elles ont injecté. Les taux à long terme vont alors remonter, c'est par ce mécanisme que le frein à la croissance va se manifester.

Ceci dit, nous sommes tout de même en salle de réanimation alors que nous devrions être à la morgue. Il ne faut jamais l'oublier. Nous sommes passés à un millimètre, un week-end en fait, de l'implosion du système capitaliste. La réunion de l'Eurogroupe du dimanche 12 octobre à Paris a été décisive. Le jeudi précédent, Ben Bernanke, le président de la Réserve fédérale, qui n'est pas un humoriste, déclarait à un journaliste: «lundi, il n'y aura peut-être plus d'économie». L'explosion du système aurait peut-être été plus rude encore qu'en 1930.

Cela induit pour moi une conséquence qui n'est pas seulement économique. On a longtemps cru que nos économies étaient solides et nos sociétés fragiles. La leçon de l'année 2009 c'est que nos économies peuvent être d'une très grande fragilité comme un métal qui peut se casser à cause d'une fissure cachée et les sociétés, en revanche, ont fait preuve jusqu'à présent d'une extrême solidité.

«A un moment, il faudra payer la note»

-Jacques Attali: Si l'on reprend la métaphore de la salle de réanimation, la question aussi est de savoir si l'opération a été la bonne. Aujourd'hui, nous sommes encore face au même dilemme qu'il y a un an: qui va payer les folies des banquiers? Soit les banques centrales vont continuer à le faire, ce qui signifie au bout de la route de l'inflation et l'augmentation des taux d'intérêt. Soit, on assiste à une augmentation générale des impôts. Dans les deux cas, le risque est celui d'une récession majeure, une sévère rechute.

J'avais utilisé comme métaphore avant le dernier G20 de Pittsburgh celle de l'alcoolique qui boit encore un dernier verre. Comme il ne s'est rien passé au G20, la question aujourd'hui est de savoir jusqu'à quand l'alcoolique peut continuer à boire, jusqu'à quand le système peut être sous perfusion. A un moment, il faudra payer la note. Plus on tarde, plus elle augmente de façon exponentielle. En 2007, la facture était de 10 milliards de dollars, en 2008 de 800 milliards, en 2009 de 2 à 3 000 milliards et maintenant de 30 000 milliards. C'est une avalanche...

-Slate: Croyez-vous un scénario à la japonaise après l'éclatement de la bulle en 1989. Une décennie perdue sans croissance.

-Jacques Attali: Un scénario à la japonaise est peut-être un des moins mauvais possibles car la société a tenu. Mais je ne vois pas les sociétés européennes supporter dix ans de croissance zéro et encore moins la société américaine.

La seule chose qui conduit à un scénario optimiste, c'est de raisonner comme les Américains qui attendent le «happy end» et l'arrivée de la cavalerie, en l'occurrence le progrès technique. Les Etats-Unis misent tout sur le progrès technique. Il est effectivement gigantesque en ce moment. Imaginer que l'on va retransmettre la coupe du monde de football en Afrique du Sud en 3D est stupéfiant. Il est possible que Keynes soit l'homme de 2009 et Schumpeter l'homme de 2010...

«La puissance de l'oligarchie bancaire»

-Alain Minc: Le paradigme américain a toujours été celui-là. Les gains de productivité générés par le progrès technique finissent pas solder les comptes. Au fond, les Etats-Unis étaient autrefois l'invention technologique et le contrôle de l'épargne mondiale. Cela reste l'invention technologique.

Il existe pourtant toujours un facteur de crise brutale non maitrisable: l'effondrement du dollar. C'est la seule crise de marché sur laquelle les banques centrales n'ont pas prise, car elles n'ont pas d'instrument pour le faire. Elles n'ont que le ministère de la parole. Il n'y a pas d'intervention possible compte tenu de la taille du marché de change. Une telle crise est un aléa fort, car elle casse le libre échange. Le plus étonnant aujourd'hui est que le libre échange est sorti sans trop de casse de la crise.

-Jacques Attali: Je ne suis pas d'accord. Le commerce mondial s'est réduit de 25%, bien plus que dans les années trente. Pour rester sur cet exemple, il ne faut pas oublier que l'économie mondiale replonge en 1937 parce que les Américains ont cessé de soutenir l'économie croyant que la situation était rétablie. Et il a fallu l'effort de guerre pour que la croissance reparte. La répétition d'un tel scénario de rechute est la grande crainte aux Etats-Unis.

-Alain Minc: Je veux revenir sur la responsabilité et l'impunité des banques. La mesure la plus scandaleuse vient d'être prise par les banques anglaises. Elles ont décidé de faire payer les taxes sur les bonus de Gordon Brown non pas aux traders, mais aux actionnaires. Elles maintiennent les bonus et comme elles ont des exigences de fonds propres à satisfaire, réduisent les dividendes. C'est le seul univers où la classe ouvrière a pris le pas sur le capitalisme.

-Slate: C'est plutôt la technostructure qui a pris le pas sur le capitalisme.

-Alain Minc: C'est ahurissant. C'est le reflet de la puissance incroyable d'une oligarchie, bien plus puissante d'ailleurs aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, qu'en Europe continentale. Le paradoxe politique des Etats-Unis, c'est qu'Obama a cédé à Wall Street (la finance) aux dépends de Main Street (les gens ordinaires).

Une banque c'est un service public et un casino. On n'a pas touché au casino et on n'a pas traité le service public comme tel. Je ne parle pas de nationalisation, mais de service public moderne. On plafonne le rendement pour les actionnaires. Les banquiers sont passés de manière hallucinante à travers les gouttes. Ils sont responsables de la crise et sont à nouveau arrogants et triomphants. Ils n'ont rien compris et rien appris. Cela va être un vrai problème dans tous les pays.

«Hausse massive des impôts et inflation»

-Jacques Attali: mon autre grande crainte vient d'une explosion du système monétaire européen et de l'euro. Avec d'un côté l'Allemagne qui veut introduire dans sa Constitution l'interdiction de tout déficit budgétaire et de l'autre des pays dont les finances publiques sont dans une situation catastrophique comme la Grèce, l'Espagne et l'Italie. L'épargne va se ruer vers l'Allemagne et fuir les pays fragiles, c'est intenable. L'année 2010 sera une heure de vérité aussi pour l'euro.

-Alain Minc: Sur l'euro, je suis moins pessimiste. La Grèce est une bénédiction. C'est un rappel au règlement pas cher. Sauver la Grèce, c'est l'argent des cigarettes et cela rappelle à tout le monde qu'il ne faut pas faire n'importe quoi. Cela fonctionne même en France où la pierre angulaire de la politique économique va être de ne pas perdre la note maximale triple Asur la dette. Rester dans le peloton de tête des pays ayant les taux les plus favorables va être très important. C'est ce qui explique sur le plan purement franco-français la réforme des retraites qui est un signal majeur envoyé aux marchés.

-Jacques Attali: En 2014, tous les pays auront un endettement représentant 100% de leur Pib. Il va forcément se passer quelque chose. On ne peut pas vraiment sortir de la crise sans discontinuité: soit une hausse massive des impôts, soit de l'inflation.

-Alain Minc: Je pense qu'on aura les deux. Les Américains auront des taux d'intérêt réels (hors inflation) négatifs. Une inflation plus élevée mais qu'ils chercheront à mieux contrôler que dans les années 1970.  Et en Europe, ce sera une augmentation simultanée de la TVA dans toute la zone.

-Slate: Comment la pilule peut-elle passer politiquement ?

-Alain Minc: C'est bien pour cela que ce sera européen.

«Justice sociale»

-Jacques Attali: La grande question qui va se poser est celle de la justice sociale. Nous sommes dans une situation pré révolutionnaire avec des banquiers qui gagnent des fortunes imméritées tandis que le chômage augmente.

L'essentiel de la politique gouvernementale doit être axé sur l'emploi et pas l'emploi quantitatif keynésien, mais l'emploi de haut niveau avec la formation professionnelle, la reconversion, l'aide à la création d'entreprises. Pas l'emploi garage.

-Alain Minc: Sur le plan social, il y a en fait trois pays en France. Il y en a un, très minoritaire, dont l'enrichissement a continué en dépit de la crise. Cela est plus visible en Angleterre qu'en France où le poids du secteur financier est plus faible.

Il y a ensuite et de façon plus massive deux sociétés: l'une avec une main d'œuvre à la japonaise dont l'emploi est protégé et l'autre avec une main d'œuvre à l'américaine précaire, intérimaire et exposée à tous les risques.

La main d'œuvre japonaise n'a pas payée la crise et a même connu en 2009 en terme de pouvoir d'achat une de ses meilleures années puisque les hausses de salaires étaient indexées sur les prix de 2008. La crise a été payée par la main d'œuvre à l'américaine qui a pris de plein fouet la bourrasque.

La crise s'est concentrée sur une fraction minoritaire de la population qui dans la société médiatico-politiquen'a aucun moyen d'expression. La France institutionnelle est celle de la main d'œuvre japonaise. Le risque social est là.

Propos recueillis par Eric Leser

 

Rédigé par aragon 43

Publié dans #Actualités

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article