ANICET LE PORS ET L'ETAT EN CRISE

Publié le 30 Octobre 2011

divers_005.gifLu sur le blog d’Anicet Le Pors

Quel État dans la crise ? OUVRIR UNE RÉFLEXION SUR L’ÉTAT AUJOURD’HUI

mercredi 12 octobre 2011

 

Par Anicet Le Pors

Quel État dans la crise ?

OUVRIR UNE RÉFLEXION SUR L’ÉTAT AUJOURD’HUI 

1) Chacun peut constater qu’en 2011 la place, le rôle et la conception même de l’Etat en France ont été profondément bouleversés par rapport à ce qui s’est construit à la Libération ; comment apprécies tu et caractérises tu ces évoluions ?

Le « retour de l’État » est un thème récurrent depuis l’aggravation de la crise à l’automne 2008. Cette évocation de circonstance correspond à une réalité : Dans tous les pays capitalistes, les États, sous la tutelle des marchés financiers, des autorités financières supranationales et des agences de notation sont intervenus massivement sous des formes spécifiques extrêmement variées. La circonstance conduit inévitablement à s’intéresser à l’État comme instrument de régulation sociale, mais aussi comme siège du pouvoir politique formalisé par un État de droit et une constitution, comme un rapport social. Ainsi, rythmant son histoire moderne, la France a pratiqué une quinzaine de constitutions depuis la Révolution française. Au sein du véritable laboratoire institutionnel que constitue notre pays il importe donc que s’ouvre une réflexion approfondie sur la nature de l’État aujourd’hui et la conception qu’il convient de promouvoir pour un État démocratique et efficace dans l’affirmation de l’intérêt général. La question est de grande actualité. De la Libération au tournant des années 1970-1980 on a connu pendant la période des « trente glorieuses » un État pratiquant une politique essentiellement administrée, d’inspiration keynésienne, justifiée par l’effort de relèvement du pays après la guerre, puis par la mise en place de bases de développement industriel dans le cadre de plans sectoriels et plus généralement d’une planification regardée comme une « ardente obligation » par le général de Gaulle.S’ouvre ensuite une période d’environ trente ans également marquée par le déferlement du libéralisme, l’accès au pouvoir de Reagan, Thatcher, Kohl dans leurs pays respectifs. La France opèrera avec retard son tournant libéral au printemps 1983. La crise actuelle marque ainsi le terme de ce cycle et en amorce un autre qui appelle, comme on le constate dès aujourd’hui, un interventionnisme étatique approprié. Mais de quelle nature ? C’est la question en débat qui appelle des solutions différentes selon les objectifs poursuivis. Il n’y a donc pas de prédétermination absolue de la conception de l’État dans un nouveau contexte.

2) La Fonction Publique telle que les lois dont tu as été à l’origine est elle aussi profondément transformée : quels liens peut-on établir avec l’évolution de l’Etat ? est ce une simple évolution ou un dénaturation de la Fonction Publique ?

Les superstructures étatiques évoluent donc et avec elles les services publics qui en constituent des pièces maîtresses. La fonction publique en est le cœur et doit donc évoluer avec la société. La fonction publique est donc un enjeu politique. Ainsi, le président de la République a-t-il, dès septembre 2007, annoncé son intention de provoquer une « révolution culturelle » dans la fonction publique, avec comme mesure emblématique la mise sur le même plan pour les recrutements le concours statutaire et le contrat de droit privé conclu de gré à gré . Il a échoué dans cette entreprise car la crise a montré qu’avec un secteur public étendu, la France disposait là, comme se sont plus à le reconnaître des observateurs de tous bords d’un puissant « amortisseur social » tant dans le domaine de l’emploi, du pouvoir d’achat, de la protection sociale que, j’ajouterai, d’un point de vue éthique face à l’immoralité spectaculairement affichée dans la crise par les puissances financières. Il y a là un encouragement fort pour les défenseurs des services publics et, en leur sein, de la fonction publique. Son évolution nécessaire n’invalide pas les fondamentaux sur lesquels elle s’est construite au fil des siècles. Essentiellement trois principes : le principe d’égalité (article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1788) qui veut que l’on accède par concours aux emplois publics ; le principe d’indépendance qui suppose la séparation du grade (propriété du fonctionnaire) et de l’emploi, caractéristique du système de la « carrière » (loi sur les officiers de 1834) ; le principe de responsabilité qui implique que l’on confère au fonctionnaire la plénitude des droits du citoyen dans l’exercice de ses mission (article 15 de la Déclaration de 1789). Dans le respect de ces valeurs et principes, les dispositions statutaires définies par la loi doivent évoluer car il n’y a pas de texte sacré. D’importants chantiers devraient être ouverts (classements indiciaires, mobilité, multi-carrières, égalité hommes-femmes, dialogue social, etc.).

3) Quelle place aujourd’hui pour l’Etat entre l’Europe et les collectivités territoriales ?

État et collectivités territoriales sont, ensemble, des collectivités publiques. L’image du « mille-feuilles » administratif a été un prétexte pour déstabiliser la démocratie locale et aligner la France sur les normes européennes. Comme l’a écrit le philosophe Marcel Gauchet, l’objectif final du sarkozysme, c’est la « banalisation » de la France. En ce domaine, l’objectif de la réforme des collectivités territoriales a été de faire prévaloir les niveaux à dominante économique, plus aisément soumis aux marchés (communautés de communes, régions, Union européenne) sur les instances politiques décentralisées ou déconcentrées (commune, département, État-nation). Le problème n’est pas d’opposer ces niveaux mais de les articuler correctement sur la base de deux principes républicains : l’unité et l’indivisibilité de la République, la libre administration des collectivités territoriales. Cette question des relations entre l’État et des collectivités territoriales est récurrente dans notre histoire. Sa solution consiste à concevoir une subsidiarité qui ne soit pas celle, descendante, de Thomas d’Aquin ou du traité de Maastricht, mais essentiellement ascendante dans l’esprit de Jean-Jacques Rousseau qui écrivait dans le Contrat social « Où se trouve le représenté il n’y a plus de représentant. » Cela ne conduit pas, tout au contraire, à affaiblir l’État au nom de la démocratie représentative ou participative, mais à le redéfinir de manière cohérente dans une mondialisation qui est aussi le concert d’États-nations qui n’ont jamais été aussi nombreux.

4) L’État est confronté à une crise économique, financière , environnementale inédite avec des conséquences sociales dramatiques : cette situation est elle de nature à le rendre obsolète ou lui confère-t-elle un rôle nouveau ?

Alors qu’elle est plus nécessaire que jamais, la réflexion sur l’État est aujourd’hui entravée pas plusieurs facteurs. Le libéralisme a développé une idéologie managériale qui se présente comme la seule modernité envisageable. L’étatisme soviétique laisse des traces : l’État est confondu avec étatisme et étatisation et opposé au libre-arbitre. La dérive bonapartiste des institutions, en France, polarise sur l’élection présidentielle tous les enjeux et appauvrit dramatiquement le débat politique. La nature contradictoire de l’État, à la fois siège de la définition de l’intérêt général, gardien de la souveraineté nationale et populaire et instrument de domination et de violence sociale sombre dans la confusion. Certains se réfugient dans récusation même de l’État ou sa réduction absolue, d’autres (de Le Pen à Besancenot) en appelleront à une VIème République au contenu disparate ou évanescent. En tout état de cause on ne saurait isoler la réflexion sur l’État nécessaire de la crise sociale, de la lutte contre les inégalités et de l’impératif d’un nouveau compromis social conduisant à revenir sur le décrochage de la part des salaires dans la répartition de la richesse nationale intervenu en France lors du « tournant libéral » de 1983. Plutôt que d’envisager une construction institutionnelle complète, il me semble plus utile, tout en dénonçant la nature et le fonctionnement des institutions actuelles de se prononcer sur un nombre limité de propositions essentielles : élargissement de la démocratie directe, récusation du référendum sauf en matière constituante, représentation parlementaire fondée sur un mode de scrutin proportionnel, responsabilité du gouvernement devant le parlement, suppression de l’élection du président de la République au suffrage universel. Mais, au-delà, une nouvelle conception de l’État suppose qu’elle soit élaborée dans une perspective de transformation sociale comprise et désirée par le peuple. Cela implique un travail idéologique de grande ampleur qui fait aujourd’hui cruellement défaut. Rien n’a remplacé l’idéal du socialisme. Il est urgent de le remettre sur le chantier avec les notions d’appropriation sociale, de démocratie institutionnelle et de citoyenneté, qui tirent les enseignements des expériences qui ont failli tout en conservant les acquis des efforts antérieurs.

Rédigé par aragon 43

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